Le Serpent de feu
Quant à ses lèvres, je n’en avais jamais vu d’aussi fines et incolores.
L’infirmière-chef nous informa que nous avions atteint ledit service et nous entraîna jusqu’à une porte derrière laquelle elle s’éclipsa, notre carte de visite à la main, en nous demandant de bien vouloir patienter.
— Messieurs, annonça-t-elle quand elle réapparut quelques minutes plus tard, le Pr Marlwood se prépare pour une opération qui risque de l’accaparer plusieurs heures. Toutefois, il m’a chargée de vous guider jusqu’à la chambre de Mr Merithorpe et de répondre dans la mesure du possible à toutes vos questions.
Elle nous escorta tout au bout du couloir. Après avoir franchi une issue et accédé à un jardin fleuri, nous empruntâmes une allée qui menait à un pavillon de deux étages, à la limite orientale de l’hôpital.
— Merithorpe ne se trouve donc pas avec les autres patients dans le bâtiment principal ? demandai-je.
— Cette unité est réservée en général aux blessés souffrant d’insuffisances organiques aiguës. Quand Mr Merithorpe nous a été confié après son accident, il se trouvait déjà dans un état de coma avancé et nous avons choisi de le transférer ici. Le lieu dispose d’un bloc opératoire indépendant. Il jouit en outre d’une tranquillité et d’un silence appréciables.
— Pour les malades plongés comme lui dans le coma, quelle est leur espérance de survie ?
— Dans l’hypothèse où, malgré l’attention qui leur est portée, ils ne reprennent pas rapidement connaissance, quelques jours, quelques semaines tout au plus 1 . Or, en ce qui concerne Mr Merithorpe, ça fait déjà six mois qu’il a été admis ici !
— En conséquence, c’est un cas à part.
— Tout à fait exceptionnel.
Nous contournâmes le pavillon et pénétrâmes à l’intérieur par un accès latéral, non loin du mur d’enceinte. Nous passâmes sans nous arrêter devant le bureau des infirmiers. Un peu plus loin, près d’un bureau sur lequel trônait un imposant bouquet de tulipes, un surveillant pointait les papiers qu’un ambulancier lui présentait, sur le seuil d’une entrée donnant directement sur la rue. De toute évidence, la façade arrière de la bâtisse ouvrait sur East Mount Street, une rue perpendiculaire à Whitechapel Road.
— Le patient de la chambre 6 a de la visite aujourd’hui, annonça l’infirmière-chef en passant devant le bureau pour rejoindre un ascenseur.
— C’est noté, Miss Maiden, fit le gardien d’un ton paterne.
L’élévateur nous transporta à l’étage où une dizaine de chambres s’agençaient de part et d’autre du couloir.
L’infirmière tourna la poignée d’une des portes et nous invita à entrer.
Je notai qu’il n’y avait personne attaché à la surveillance du locataire des lieux. Les murs de la pièce étaient couverts de gros carreaux blancs. Par l’unique fenêtre, on pouvait entrevoir une portion de jardin.
Merithorpe était étendu sur un grand lit à armature métallique. Ses bras étaient placés le long du corps, la main droite emmaillotée dans un épais bandage. Au-dessus de lui, le cornet d’un appareil à oxygène ainsi qu’un masque à gaz embouché à une sorte de ballon en cuir dégonflé pendaient, désœuvrés, d’une rampe au plafond.
Seul appareillage relié au corps du blessé, une mince canule était introduite dans une des narines. À l’autre extrémité, le flexible était raccordé à une poche, en haut d’un éminent trépied, d’où s’écoulait une solution brunâtre.
« Narine » était cependant un bien grand mot. En nous approchant plus près du lit, nous pûmes constater à quel point le visage de Merithorpe n’avait pas été épargné par les flammes. Le nez avait fondu et n’était constitué que d’un maigre lambeau de peau replié sur lui-même et perforé de deux minuscules trous. Si la partie gauche de la figure paraissait avoir été moins dramatiquement exposée, la partie droite, de la base du cou jusqu’au sommet de la tête, à hauteur de l’os pariétal, avait été calcinée et n’était constituée que d’une épaisseur de croûte informe, sans plus aucun trait distinctif. Le cuir du crâne, quant à lui, avait été rendu impropre à la repousse des cheveux, excepté, par-ci, par-là, quelques indigentes touffes blondes.
— Mon Dieu ! s’exclama James. Je n’imaginais pas qu’il avait été à ce point
Weitere Kostenlose Bücher