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Le Serpent de feu

Le Serpent de feu

Titel: Le Serpent de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Fabrice Bourland
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là à titre privé.
    — Dans ces conditions, prenez place et joignez-vous à moi ! Il y a ici à manger plus que je ne peux le faire tout seul.
    Sa voix était d’une texture épaisse et suave. Elle tranchait avec la fixité de ses prunelles, qui avaient la froideur de l’acier, mais qu’un étrange éclat illuminait de l’intérieur.
    Je m’installai dans le profond fauteuil qu’il m’avait désigné à quelques pas de lui, devant la fenêtre. Pendant ce temps, la jeune femme, nu-pieds comme son compagnon, s’était saisie sur une console d’un petit pot en terre que je pris au premier abord pour une salière et, s’approchant du chariot, saupoudra le plat d’une fine poudre blanche. Ensuite, elle déposa le récipient et, après être venue s’établir sur l’appuie-bras du canapé, elle se mit à caresser languissamment l’arrière du crâne de Crowley tout en ne me quittant pas des yeux une seule seconde. La longue chevelure noire de la jeune femme et son teint ambré me donnèrent à penser qu’il s’agissait de la beauté sud-américaine qui avait fait scandale au Langham , quelques jours auparavant.
    Crowley tendit la main pour picorer dans le plat. Sur le sol, au pied du divan, une bouteille de champagne, gardée au frais dans un seau à glace, une bouteille de brandy et une autre d’un vin millésimé étaient pour la plupart largement entamées.
    — Cet entremets est une recette de mon invention. Le maître d’hôtel l’a scrupuleusement préparé selon mes directives : des toasts Melba parsemés de champignons, d’anchois, d’olives et de piment en pâte, le tout recouvert de feuilles de baies sur lesquelles on a répandu du caviar, des oignons sauvages, du ginseng et du canard de Bombay. À la fin, comme Eva vient de procéder à l’instant, on saupoudre de haschisch. Mais je me rends compte que je ne vous ai pas présenté, mille excuses. Voici Eva Fortunato, ma douce et tendre ! Eva, veuille bien saluer Mr Singleton qui me fait l’honneur de venir s’entretenir avec moi, moi le réprouvé de la bien-pensance puritaine.
    La jeune femme m’adressa un signe de la tête.
    — Eva comprend notre langue, mais elle ne la parle pas encore très bien. Elle est péruvienne, descendante par sa mère d’une lointaine et noble lignée de sang inca. Son géniteur était un salopard d’exploitant de coton qui se plaisait à abuser de ses ouvrières. Quand maman Fortunato a compris qu’on voulait l’obliger à avorter, elle s’est enfuie au-delà de la cordillère et a élevé son enfant dans la haine du mâle blanc. J’ai rencontré Eva il y a six mois, à Madrid. Elle avait appris à merveille les leçons de sa mère : après avoir convolé avec un vieux joaillier hollandais, elle a hérité au bout d’un an de sa fortune. Il va sans dire qu’il a été empoisonné, le barbon ! Les chamans de la cordillère sont experts dans l’art de confectionner des toxiques et autres herbes miraculeuses aux traces indécelables. Bien entendu, tout cela reste entre nous, monsieur le détective.
    Je regardai d’un air médusé la jeune Indienne. Elle était d’une beauté étourdissante. Il y avait une différence d’âge d’au bas mot quarante ans entre elle et Crowley, et je me surpris à me demander comment il était possible qu’une pareille créature fût attirée par un presque vieillard comme lui.
    — Aujourd’hui, c’est Eva qui m’entretient. Sans elle, ma condition serait d’être un traîne-savates. Certaines opérations à risques en Sicile, il y a quinze ans, de malencontreux procès ainsi que l’acharnement de bon nombre de mes compatriotes ont fini de me laisser sur la paille. Mais je constate que vous ne goûtez à rien !
    — Je viens de finir de déjeuner, mentis-je, et je n’ai pas très faim.
    Sans couper court à ses caresses, la jeune femme pencha son visage vers celui de Crowley et glissa quelques mots à son oreille. Ce dernier me jaugeait du regard tout en écoutant les propos de sa maîtresse.
    — Bah ! je vous comprends, reprit-il en gobant un anchois piqueté de poudre blanche. Moi-même, la nourriture terrestre suffit de moins en moins à émoustiller mes papilles. Toute cette pitance n’est bonne au fond que pour accompagner un excellent champagne, et pour permettre au haschisch de produire ses effets. Voulez-vous un verre de Cordon Rouge ? Ou préférez-vous goûter de ce cocktail dont il me reste encore un fond ? Lui aussi est de ma

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