Le souffle de la rose
de ce langage
impie ?
— Je l’ai entendue y avoir recours, moins souvent que
son chapelain, toutefois.
— Il est de connaissance commune que les femmes
possèdent moins le don des langues que les hommes.
Maître Richer opina du bonnet, comme à chaque commentaire
fielleux que destinait Florin à la douce gent. Son petit visage d’atrabilaire
se crispa pour marquer sa pingre satisfaction.
— Damoiselle de Souarcy, j’aimerais que nous en
revenions à ce Clément qui a si... opportunément disparu, reprit le seigneur
inquisiteur. Pensez-vous qu’il ait été, lui aussi, touché par la séduction du
démon ?
Un regain de vitalité défatigua Mathilde que les deux heures
d’interrogatoire avaient lassée. Elle fournit un considérable effort afin de ne
pas laisser transparaître la haine viscérale qu’elle éprouvait pour cet odieux
chancre de gamin. D’un ton lourd de peine, elle déclara :
— J’en suis certaine. Après tout, il a pu être
contaminé dès dans le ventre de sa mère.
Pourquoi son oncle Eudes n’avait-il pas anticipé les
questions qu’on risquait de lui poser au sujet de ce vil chenapan ? Son
indécision fut de courte durée. Elle broda :
— Lui aussi parlait dans cette langue sacrilège, fort
aisément. Au demeurant, je suis bien certaine qu’il fut le sournois mais
obstiné artisan de la flétrissure de ma mère.
Une douleur en lame de couteau explosa dans la poitrine d’Agnès,
qui crut se réveiller d’un long étourdissement. Clément. Mathilde s’attaquait à
Clément. Une bourrasque d’énergie redressa la dame de Souarcy. Jamais !
— Ah, voici la preuve éclatante ! tonna Florin. Un
trio d’adorateurs de satan. Je loue l’infinie Providence de nous les avoir fait
découvrir à temps, avant qu’ils ne propagent leur poison dans d’autres âmes. Ce
garçon doit être retrouvé, arrêté et mené par-devers nous.
L’étau qui étouffait Agnès depuis un moment se desserra d’un
coup. Son corps venait d’oublier les semaines d’emprisonnement, de privations,
les nuits de fièvre. Mathilde, sa fille, son sang, ne se contenterait pas d’oeuvrer
pour que les serres impitoyables de l’Inquisition se referment sur sa mère et
la broient. Mathilde jetait sur Clément les fauves implacables, gueules grandes
ouvertes. Jamais !
Elle leva la tête et dévisagea sa fille, le regard glacial.
Détachant chaque syllabe, elle asséna :
— Ma fille sait à peine épeler le français. Elle ânonne
ses prières au point qu’il m’a fallu les lui faire apprendre par cœur tant elle
éprouvait de difficultés à les lire. Quant à la lettre qu’elle aurait écrite,
je ne doute pas qu’elle lui fut dictée ou même qu’elle l’ait recopiée de
modèle. Elle n’entend rien au latin, même d’arrière-cuisine, comment
pourrait-elle juger de l’étrangeté d’une langue, qu’elle soit sacrilège ou
sacrée ?
Florin chercha fébrilement une contre-attaque. Il ne sut que
siffler :
— Piètre défense, madame !
— C’est vile menterie ! glapit Mathilde.
Une voix très grave, très lente résonna dans la salle. Tous
se tournèrent dans sa direction. Frère Jean s’était levé et pour la deuxième
fois intervenait dans les débats.
— Te
deprecamur supplices nostris ut addas sensibus nescire prorsus omnia
corruptionis vulnenera. Qu’en faites-vous, mademoiselle ?
Mathilde jugea le moment venu de fondre en larmes. Elle
balbutia :
— Je suis... épuisée, à bout de forces...
— Où donc serait passée votre vitalité d’à l’instant ?
Que faites-vous de cette phrase, fort simple, mademoiselle ? Avez-vous du
moins deviné qu’il s’agissait de latin, non d’un idiome impie ?
Un silence s’installa. Florin cherchait désespérément la
parade, se maudissant de s’être laissé emporter par son goût des jeux. Ne
pouvant s’en vouloir très longtemps, il tourna son acrimonie sur Mathilde.
Quelle sotte, quelle idiote ! Fallait-il être stupide pour évoquer le
latin quand on n’y entendait rien !
— Madame, demanda alors frère Jean en regardant Agnès.
Que faites-vous de cette phrase ?
— Nous Te supplions humblement de donner à nos sens la
vertu d’ignorer toujours ce qui peut corrompre la sainte pureté.
— Notaire, en vertu des précautions commandées par la
procédure inquisitoire, lesquelles prévoient que si partie d’un témoignage se
révèle fausse, l’intégralité dudit témoignage doit
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