Le souffle de la rose
prière et de méditation ?
— Je n’en sais rien, ma fille. Il s’agit là d’une
supposition qui m’est venue, rien de plus, si ce n’est que je la préférais
grandement à l’idée d’une Yolande empoisonneuse. Dans un cas j’aurais à régler
un égarement que l’on peut souhaiter temporaire, dans l’autre un crime de sang
de la pire nature qui mérite la flagellation publique suivie de la mort.
Un court silence s’installa. Annelette Beaupré n’ignorait
rien de ces pratiques. On fermait les yeux sur elles pourvu qu’elles ne s’affichent
pas, et surtout qu’elles demeurent inconnues de l’extérieur. Elle-même avait
déjà été témoin de certains regards complices, de sourires qui ne devaient pas
qu’à la cordialité sororale. De tels engouements de cœur et de sens la confondaient
et la confortaient dans son peu d’estime de la gent humaine en général. Qu’avait-on
besoin de se frôler la peau ou de se baiser les lèvres quand tant de choses
merveilleuses existaient qui n’attendaient que d’être étudiées et comprises.
Elle était parvenue à éviter la couche des hommes, ce n’était certes pas pour
tomber dans celle des femmes. Jeanne d’Amblin rompit la fausse quiétude du
moment :
— Je ne comprends rien à cette épouvantable affaire !
Pourquoi empoisonner Adélaïde, ou même pourquoi avoir voulu tuer Blanche, si c’était
bien elle la victime désignée ? Cela n’a aucun sens... à moins d’imaginer
une maladie d’esprit ou... (Elle s’interrompit et se signa avant de terminer sa
phrase :) Une possession... ?
Le regard de la soeur apothicaire chercha celui d’Éleusie,
quêtant une approbation que cette dernière lui accorda d’un petit signe de
tête. Annelette expliqua :
— Si l’on admet que la déraison n’est pas à l’origine
du geste de la meurtrière, la seule explication à laquelle nous en soyons
rendues et qui présente quelque substance... ce sont les clefs du coffre
gardien du sceau de notre mère. Notre doyenne en détenait une, ainsi qu’il est
de coutume. La deuxième était confiée à Berthe de Marchiennes, quant à la
troisième, bien sûr, elle reste sous la garde de notre mère.
Les yeux de Jeanne d’Amblin s’agrandirent, elle murmura :
— De fausses écritures ? Mais c’est
épouvantable... On peut envoyer des innocents au gibet, avec ce sceau ! On
peut... on peut...
— On peut faire beaucoup de choses, en effet, la coupa
Éleusie. Mais, rassurez-vous, Jeanne. Il est en sécurité et n’a pas bougé du
coffre.
— Ah mon Dieu... souffla celle-ci.
Éleusie ne sut déterminer si le soulagement temporaire que
lui apportait cette nouvelle l’emportait sur la consternation qu’elles
partageaient toutes.
Annelette, que le manque de rigueur qu’adoptait la
conversation lassait, intervint :
— Certes ! Si nous avons percé le véritable mobile
de l’assassine, nous sommes donc confrontées à une alternative peu
encourageante. S’il lui est crucial de récupérer ce sceau, elle recommencera.
Ainsi que nous l’annoncerons tout à l’heure, je détiens maintenant la clef de
notre doyenne. Notre mère en conserve une, et la dernière est aux mains de
Berthe de Marchiennes.
Un éclair de compréhension passa sur le visage de Jeanne d’Amblin,
qui cria presque :
— Cela signifie-t-il que si... que si... elle tentera
de vous tuer toutes les trois ? Ah non... ah non, je ne le supporterai pas !
— Que conseillez-vous d’autre ? demanda Annelette
que l’irritation gagnait.
— Eh bien... Eh bien, je ne sais... Je vais trouver, un
peu de patience ! Elle a donc tenté d’empoisonner Blanche afin de
récupérer la clef qu’elle portait sur elle. J’y suis : plutôt que de les
protéger dans nos robes ou autour de nos cous, cachons-les. Cachons-les en un
lieu secret, que ne connaîtra que l’une d’entre nous, notre mère me semblant
tout indiquée. Ainsi couperons-nous l’herbe sous le pied de ce monstre.
Empoisonner notre abbesse ne lui indiquera pas la cachette.
La logique de cette idée aurait dû séduire Annelette, et
elle s’étonna qu’il n’en fût pas ainsi. Elle fut toutefois assez honnête pour
se demander, l’espace d’un instant, si elle n’en voulait pas à Jeanne d’y avoir
pensé à sa place.
— Votre suggestion est d’intérêt, concéda-t-elle.
Prenons le temps d’y réfléchir. Avant cela, nous avons une autre épine à tirer
de notre pied, et elle est de
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