Le souffle de la rose
jamais.
Elle sentit soudain peser sur elle le poids d’un regard
immense et tourna la tête dans sa direction. Le frère Jean, celui dont elle n’avait
jamais entendu la voix, la fixait. Il lui adressa un léger signe de dénégation
dont elle ne comprit pas le sens. Elle devait le saisir bien vite.
Florin s’avança vers elle. Démarche souple et gracieuse,
comme s’il flottait au-dessus des dalles.
— Madame de Souarcy. Votre duplicité et l’éloquence
perfide dont vous avez fait preuve devant nous ne vous serviront plus de rien.
Un ange a guidé vers nous le chemin de cette jeune femme intacte, acheva-t-il
en désignant Mathilde.
Le regard d’Agnès passa du seigneur inquisiteur à sa fille.
Que disait-il ? Serrer sa fille entre ses bras. Ensuite, tout s’apaiserait,
elle en était certaine. Ensuite, la vie redeviendrait propice. Elle la
protégerait, elle se battrait contre eux tous. La jeune fille ressortirait la
tête haute, jamais Agnès ne tolérerait qu’elle la rejoigne dans sa geôle, qu’elle
endure les mêmes tourments que sa mère. Ce n’est qu’alors qu’elle remarqua la
parure de Mathilde, la robe d’une magnifique soie épaisse, le voile d’un
tissage si fin qu’elle ne se rappelait pas en avoir jamais vu de plus
transparent, et les bagues qui alourdissaient ses doigts. La belle turquoise
carrée de madame Apolline, sa bague d’index en grenats de Bohême, son anneau de
pouce rehaussé de perles grises.
Elle lutta contre les voix qui tentaient de se frayer un chemin
dans son esprit, elle lutta contre la vérité qu’elles s’efforçaient d’imposer.
Une voix domina sa volonté de ne rien entendre, celle de Clémence. Un murmure s’infiltra :
« Regarde le crucifix d’améthystes qui souligne sa gorge. N’est-il pas
beau, ma chérie ? C’est celui de madame Apolline. Celui qui lui venait de
sa mère et avec lequel elle souhaitait être enterrée. Selon toi, pourquoi Eudes
en a-t-il fait présent à ta fille ? Ces jolies gouttes lie de vin sont la
rétribution de sa trahison. »
Le crucifix. Apolline, pauvre douce Apolline. Elle le
baisait souvent dans ses prières comme s’il lui restituait un peu de l’amour de
sa mère, morte fort jeune.
Un soupir dans sa tête. Pas le sien. Celui de la voix.
Un soupir dans sa gorge. Le sien. Agnès sentit le sol
glisser sous ses pieds. Un voile noir, glacial, obscurcit sa raison. Un silence
de sépulcre s’installa dans son esprit. Elle s’effondra. Tout le temps qu’elle
vit les dalles se rapprocher de son visage, tout le temps que dura cette chute
sans fin, elle se répéta : mon bébé, que nous ont-ils fait ? Maudits,
ils sont maudits, et payeront au centuple pour ce que tu es devenue par leur
faute.
Lorsqu’elle revint à elle, elle se trouvait dans une petite
salle chauffée par un vase à braises. Agnan lui tendit un bol de terre dont
elle but le contenu sans mot dire. La brûlure de l’alcool la fit tousser,
pourtant, une chaleur bienvenue se répandit dans son corps glacé.
— Ce cidre est fort, mais devrait vous revigorer un
peu.
— Depuis combien de temps...
— À peine une demi-heure. Vous n’êtes pas avec enfant,
madame, n’est-ce pas ?
Agnès secoua la tête en signe de dénégation en murmurant :
— Vous m’offensez, monsieur. Je suis veuve.
— Pardon sur mon âme... madame... mademoiselle votre
fille est allée se restaurer en compagnie du baron de Larnay. Les débats
devraient reprendre à son retour.
Elle demanda d’une voix qu’elle reconnut à peine, une voix
calme, étrangement ferme :
— Ainsi, elle n’a donc pas été arrêtée.
— Que nenni, ma chère dame. Il s’agit même de votre plus
effroyable témoin à charge. J’ai lu la lettre qu’elle a adressée à Florin. Elle
est empoisonnée et vous brûle les yeux et les doigts de son venin. Je ne
pouvais...
— Je le comprends, le coupa-t-elle, et vous sais gré de
votre démarche risquée et valeureuse.
Elle tendit la main vers lui et frôla la sienne. Le très
jeune homme s’empourpra et se saisit de ses doigts pour les baiser. Il
bafouilla, des larmes dans la voix :
— Merci madame, merci du fond de mon âme.
— Comment... je suis votre obligée et vous...
— Non, vous êtes, au contraire, la démonstration que ma
vie n’est pas vaine. De cela, je vous serai à jamais reconnaissant. Si mon
travail de misérable fourmi contribue à sauver l’innocence, et la vôtre ne fait
aucun doute, la
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