Le souffle de la rose
saviez... Benoît est
mort et je suis l’artisan de son agonie. Cette mort me blesse tant, elle me
ronge du dedans, sans répit, pourtant, elle était inévitable.
— Pourquoi cela ? demanda-t-elle sans que cet aveu
semble la troubler.
— Parce que Benoît était de ces purs dont l’obstination
risque de saper les fondements de notre Église. Il s’était mis en tête une
dangereuse chimère et s’accrochait à son idée de pureté évangélique, alors que
nous sommes en danger, menacés de toutes parts. L’Orient chrétien est mort et
je doute qu’il renaisse de ses cendres. Il nous faut maintenant, au contraire,
consolider l’autorité de l’Église en Occident. Le dialogue, l’échange et l’ouverture
ne sont plus de mise... Au demeurant, l’ont-ils jamais été ? Une réforme
de l’Église, une sorte de mea culpa, nous serait fatale, j’en suis convaincu.
Aude, nous sommes les garants d’un ordre, d’une fermeté sans lesquels les
hommes ne peuvent survivre. En face de nous, des forces que je mesure mal
œuvrent à défaire notre emprise. Nombre de souverains d’Europe souhaitent
mettre en pièces notre autorité, dont Philippe le Bel, ma bien chère. Mais
ceux-là ne constituent pas ma préoccupation majeure, nous parviendrons à les
faire reculer. En revanche, je vous l’avoue, les autres me font peur.
— Les autres ? Quels autres ? s’enquit la
magnifique jeune femme.
— Si je les connaissais, je n’aurais plus à m’en
soucier. Je flaire leurs avancées partout, dans ces hérésies qui fleurissent,
dans l’austérité exaltée de nombre de nos moines mendiants, dans l’amitié de la
jeunesse noble et des bourgeois à leur endroit. Je cherche sans relâche leurs
traces... L’espoir de la fraction la plus riche et la plus érudite se porte
vers les réformateurs. Les autres, les pauvres, les suivront sous peu, grisés
par leurs grotesques théories d’égalité. Nous avons contré et nous continuons
de contrer les mouvements hérétiques, mais ils ne sont que la face exposée d’un
courant profond de désamour pour nous, pour ce que nous représentons.
— L’Inquisition est pourtant bien active, souligna son
invitée.
— L’Inquisition est un diable de papier que l’on agite
pour faire peur. Des soulèvements ont eu lieu contre elle dans le passé, prouvant
que le peuple, s’il trouve un... commandant, peut réagir. (Honorius hésita
avant de poursuivre :) Un commandant ou un miracle. Imaginez, mon amie...
Imaginez...
— Que tardez-vous à me révéler ? Je sens chez vous
une crainte qui m’alarme.
La finesse de la jeune femme le convainquit d’aller jusqu’au
bout de ses confidences :
— Je m’enlise dans un combat dont je redoute parfois qu’il
soit vain. Me vient la terreur d’un échec que je sens proche de moi. Il
suffirait d’un miracle... d’un convaincant miracle pour que tout bascule.
— Quel miracle ?
— Je l’ignore. Je doute que Benoît ait connu sa nature,
pourtant, il était prêt à le protéger de sa vie, tout comme l’une de ses pièces
maîtresses, ce chevalier Francesco de Leone, un hospitalier.
Il la fixa quelques instants avant de reprendre :
— Mes explications sont si floues, si incertaines... C’est
que j’avance moi aussi dans le brouillard depuis des années. Un texte, une
sorte de prophétie sacrée, nous est parvenu avant de redisparaître comme par
enchantement. Deux thèmes astraux y étaient détaillés. Après des années de
tâtonnements et de déceptions, l’existence d’un traité d’astronomie rédigé par
un moine du monastère de Vallombroso fut portée à la connaissance de Boniface.
La révolution que recelaient ses pages ne devait à aucun prix se répandre. J’y
ai veillé. L’ouvrage était protégé dans notre bibliothèque privée. Nous
avancions dans les calculs devant nous permettre d’élucider les deux thèmes
lorsque le traité fut dérobé par un chambellan et vendu au plus offrant...
Leone. Il n’en demeure pas moins que nous sommes parvenus à percer le secret du
premier et à localiser, grâce à une éclipse de lune, la personne qu’il
désignait, une certaine dame Agnès de Souarcy.
— Qui est-ce ?
— Une bâtarde reconnue, semée par un petit baron
ordinaire français, Robert de Larnay.
L’incrédulité rida le joli front de madame de Neyrat.
— Cette histoire est insensée... Que vient faire une
petite nobliaude de France au milieu de l’affrontement
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