Le souffle de la rose
entre les forces
réformatrices et conservatrices de l’Église ?
— Que voilà admirablement résumé le désordre dans
lequel je me perds depuis des années.
— Une femme, de surcroît. Qui sont les femmes aux yeux
d’un prélat ? Des saintes, des religieuses, des mères d’un côté, et de l’autre
des catins, des dévoyées et des tentatrices. Quelle importance peut avoir une
femme ?
Honorius avait serré les lèvres à cette énumération. Il
était, cependant, assez lucide pour reconnaître sa justesse. Cela étant, quel
autre rôle aurait pu tenir une femme ? Aude, cette adorable meurtrière, n’en
était-elle pas une preuve éclatante ?
— Je suis si démuni, ma chère. Je ne sais rien de cette
femme, si ce n’est qu’elle représente une effroyable menace dont j’ignore tout.
Elle doit mourir, et vite.
— M’avez-vous fait mander afin de me confier son
exécution ? insista madame de Neyrat en souriant.
— Non, j’y ai pourvu bien avant votre venue.
— Que souhaitez-vous de moi, cher Honorius ?
— Il me faut ce traité de Vallombroso. Il me le faut
impérativement afin d’élucider le second thème et de devancer mes ennemis. Je
me suis associé les services d’un nervi dont le manque d’efficacité m’inquiète
et commence de m’exaspérer. J’avais compté sur sa rage, son aigreur, sur son
besoin d’exiger de la vie un remboursement des injustices dont il s’imagine
victime.
Un bref silence suivit ses aveux. Aude de Neyrat le rompit
sans hâte, déclarant :
— Honorius, Honorius... Quelle erreur de faire
confiance à la peur et à l’envie. Ce sont caractéristiques de pleutre et il n’est
pire traître que les pleutres.
— Je n’avais que fort peu de possibilités, ma chère
belle. M’aiderez-vous ?
— Je vous l’ai un jour affirmé : je suis femme de
parole et de dignité. Je paye toujours mes dettes, monsieur, répondit-elle pour
une fois sans l’ombre d’un sourire. D’autant que j’en ai contracté fort peu qui
me viennent du cœur. Je vous aiderai... (Puis, jugeant son sérieux excessif,
elle se rattrapa en plaisantant :) Et qui dit que je n’oblige pas ainsi le
futur pape ?
Il hocha la tête avant de rétorquer :
— L’ombre me sied, ma chère. Je suis un homme de
derrière la tenture, un homme qui attend désespérément celui qu’il servira
mieux que lui-même. Benoît... Benoît que j’ai tant aimé n’était pas celui-ci.
— Et votre silhouette espionne ? Qu’en fais-je ?
— Au besoin, éliminez-la, elle m’a donné moult preuves
de son incompétence.
— Quelle idée séduisante, mon cher Honorius.
Aude se leva, aussitôt imitée par le camerlingue qui lui
serra les mains avant de les porter à ses lèvres. Elle murmura :
— Je reste jusqu’à deux jours à Rome afin de m’y
reposer un peu. S’il vous venait l’envie de me visiter, en discrétion, n’hésitez
pas.
— Je ne le crois pas, ma chère tendre. Nous nous
connaissons trop. Surtout, nous nous aimons trop.
Elle ferma les yeux, lui offrant son plus renversant sourire
avant de chuchoter :
— Pourquoi aurais-je prononcé la même réponse, m’eussiez-vous
devancée en cette leste proposition ?
— Parce que nous nous connaissons trop et que nous nous
aimons trop, justement.
Maison de l’Inquisition, Alençon, Perche, novembre
1304
Agnan, tassé derrière sa planche de travail poussée dans un
coin du vestibule prolongeant le bureau de Nicolas Florin, le sut dès qu’il
leva le regard sur lui. L’espace d’un fugace instant, le jeune clerc eut la
vision d’une pure épée. Le miracle pour lequel il avait prié depuis des jours,
cet improbable miracle qu’il avait imploré des nuits entières lui était accordé
sous la forme de cet homme qui se tenait debout devant lui, le détaillant d’un
intense regard bleu. Il y avait dans ses yeux qui viraient du saphir à la mer
froide en fonction de la lumière qui s’y réfléchissait tant de choses secrètes,
Agnan l’aurait parié. Des choses terribles mais nobles, des choses dont il ne
connaissait rien et qui, pourtant, le bouleversaient, là, derrière sa petite
planche.
— Me feriez-vous, je vous prie, le service d’annoncer
Francesco de Leone, chevalier de justice et de grâce de l’ordre des
hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ? Je suis venu m’enquérir de
madame de Souarcy.
Sans qu’il le veuille, sans qu’il sache très bien quelle
force le poussait
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