Le souffle du jasmin
révolutionnaires par rapport aux religions c'est qu'elles promettent
un paradis sur terre et que l'on peut vérifier le résultat.
Denis Langlois.
Bagdad, mars 1941
Le 25 mars, un lieutenant-colonel qu'il ne connaissait que
vaguement vint rendre visite à Nidal el-Safil. Il lui annonça :
– J'ai un message à vous communiquer.
Le militaire tira de sa poche un pli
qu'il remit à Nidal.
Je prie
le destinataire de se conformer immédiatement aux ordres que le porteur lui
transmettra de ma part .
Signé : Rachid el-Keylani.
Un faux ? Il scruta le papier.
Connaissant l’écriture et la signature de Rachid, celles-ci paraissaient
parfaitement authentiques.
Le militaire précisa :
– À partir de maintenant, vous êtes
prié de vous tenir à disposition jour et nuit à n'importe quelle heure.
Nidal se garda de demander à la
disposition de qui il devait se tenir ; ce n'était que trop évident. Une
opération se préparait. Il hocha la tête. Ainsi, Rachid semblait être parvenu
au bout de ses peines.
– Vous serez prévenu par un émissaire
ou un coup de téléphone, précisa encore le militaire. On vous indiquera le lieu
et l'heure du rendez-vous. Disposez-vous d'une arme ?
Nidal
opina. Il avait conservé, du temps de sa jeunesse, un Luger Parabellum, calibre
9 mm. Une petite merveille achetée lors d'un séjour en Allemagne.
– Des
munitions ?
– Plus
qu'il n'en faut.
Le
militaire s'autorisa un léger sourire :
– C'est
quand le lion dort qu'il est facile de l'abattre, asséna-t-il en guise d'au
revoir.
Le
lion ? Les Arabes respectaient cet animal. Il ne pouvait donc s'agir que
du lion britannique.
En
réalité, Nidal ne fut pas vraiment surpris de cette irruption
comminatoire : depuis quelque temps, des amis perdus de vue téléphonaient
pour prendre de ses nouvelles, histoire de s'assurer qu'il était encore en vie
et bon pour le service. Restait à vérifier si, à soixante-sept ans, Nidal avait
conservé quelques-unes de ses qualités d'ancien tireur d'élite. Or,
paradoxalement, s'il était incapable de déchiffrer la une d'un journal sans
lunettes, il n'avait jamais vu aussi nettement de loin.
À peine le
messager s'était-il retiré que Chams fit irruption dans le vestibule.
– J'ai
tout entendu, père. Alors ?
Nidal
souleva son index avec un faux air de reproche.
– Il n'est
pas bien d'écouter aux portes, mon fils.
– Quelle
est ton impression ?
– Puisque
tu as entendu la conversation, tu en sais autant que moi.
– Tu as
l'intention d'obéir ?
Nidal, qui
se dirigeait vers son bureau, s'arrêta net.
– À quoi
donc ?
Chams posa
ses mains sur ses hanches d'obèse et débita avec une expression ironique.
–
« Je prie le destinataire de se conformer immédiatement aux ordres que le
porteur lui transmettra de ma part. » J'ai reçu le même message, père.
Hier soir.
Nidal
étudia le visage de son fils. Celui-ci poursuivit :
– Crois-tu
que je sois resté les bras croisés durant toutes ces années ? Tout comme
toi, j'appartiens au HIW [99] .
Il précisa
avec un sourire en coin :
– J'en
suis même l'un des piliers, père.
–
Quoi ? Et Rachid ne m'a rien dit ? Il…
— C'était inutile.
– Dois-je
en déduire que tu sais précisément ce qui se prépare ?
Chams fît
oui de la tête.
« Et ?
— Sois prudent, fut sa seule réponse.
— Il disparut dans sa chambre.
*
Le 1 er avril à 7 heures du matin, Nidal reçut le coup de téléphone annoncé :
— Dans dix
minutes devant ta porte.
À l'heure
dite, une Dodge s'arrêta devant la maison, une portière s'ouvrit, il monta. Il
s'assit près d'un général dont il savait l'histoire : c'était l'un des
quatre hauts gradés appartenant au Carré d'Or, un cercle de militaires fidèles
aux principes originels de l'Istiqlal : pour eux, ni Bakr Sidqi ni Yassine
el-Hashimi n'avaient appliqué véritablement ces principes, ils s'étaient laissé
embourber dans les marécages de la politique politicienne ; quant au
régent Abdallah et à son Premier ministre, Nouri el-Saïd, ils les considéraient
comme des larves exsangues et probritanniques.
Un seul
homme méritait encore d'être écouté, et ils l'écoutaient avec passion :
Hajj Aminé el-Husseini, arrivé à Bagdad l’année précédente. Depuis quelques
jours, les Anglais demandaient d'ailleurs ouvertement ce qui justifiait la
présence
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