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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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celles-ci d'ailleurs sont loin
d’être terminées. Elles se multiplient au Caire, à Alexandrie et dans des
villes de province. Loutfi bey parle d’une « crise de nerfs du peuple »,
mais il se trompe. C'est comme si une bombe avait fait sauter un barrage et
libéré un océan. L'Égypte entière est submergée. Les émeutes, qui ont fait près
de huit cent morts, paralysent tous les jours un peu plus la vie de quartiers
entiers et les grèves se succèdent.
    À Garden
City, un détachement de policiers a été contraint de protéger la résidence du
haut-commissaire, amis aussi l’ambassade de France, à Guizeh, où des excités ont tenté de pénétrer
pour supplier l’ambassadeur de transmettre leurs doléances à la conférence de
la paix qui s’est ouverte à Paris il y a trois mois, sans la présence des
représentants de l’ Égypte. Personne ! Aussi, les
membres du parti nationaliste ont adressé au gouvernement français des dizaines
de télégrammes, comme autant de suppliques ; des
télégrammes que les employés des Postes égyptiennes ont refusé de leur faire
payé.
    Les
ouvriers des filatures de Tall el-Kébir se sont eux aussi ralliés au mouvement,
imités par ceux de la Compagnie d'électricité Lebon. Hier c'était autour des
Egyptian Railways. L'approvisionnement même de la capitale est devenu
aléatoire. Non, Loutfi bey se trompe. Ce n'est pas une crise de nerfs, c'est la
fin du monde ! Et les Anglais devront bien finir par céder !
    Sur ce, il
est tard. Près de 2 heures du matin et demain je dois me réveiller dès l’aube pour
accompagner Mona et son frère devant les
grilles du palais du sultan Fouad afin de crier notre colère. Nous serons, je
l'espère, des milliers !
    Votre fils qui vous aime et à qui vous manquez.
     
    Mourad.
     
    – Qu'Allah
lui torde le cou ! hurla Hussein Shahid en jetant la lettre de son fils à
terre.
    Nadia se
frappa aussitôt les joues à plusieurs reprises en signe de solidarité avec son
époux.
    – Que Dieu
ait pitié de nous ! Des manifestations ? Des affrontements avec la
police ? Notre fils est devenu un émeutier ! Veut-il notre
mort ?
    – Allons,
intervint Soliman du haut de ses dix-sept ans qu'il venait de fêter la veille,
calmez-vous ! Il ne s'est rien passé de grave. Il est en vie et en bonne
santé, sinon vous n'auriez pas reçu cette lettre.
    –
Toi ! gronda Nadia. Mêle-toi de ce qui te regarde ! Ton frère est majnoun  ! Il n'a
plus sa tête.
    – Mais
non, mais non, c'est un passionné, voilà tout.
    Cette
fois, c'était le cousin El-Wakil qui s'était exprimé. Il ajouta néanmoins :
    – Moi, ce
qui me gêne le plus, ce sont ces histoires de droits des femmes. Vous vous
imaginez ? Une femme qui organise des mouvements de protestation !
Heureusement que mon épouse n'assiste pas à cette discussion ! Et
qu’est-ce que c'est que cette revue – il retroussa les lèvres pour marquer son
– féministe ? Il est
là, le danger ! Ce sont des personnes de cet acabit qu'il faudrait exiler
à Malte ou
ailleurs, pas des patriotes !
    Assise
sagement par terre, une poupée de chiffon contre elle, la petite Samia
observait en silence le tumulte des adultes auquel elle ne comprenait pas
grand-chose, si ce n’est qu'ils étaient décidément bien compliqués.
    – Et ses
études, vociféra Hussein. Il n’en dit pas mot ! Rien ! Qui
paye ? Moi ! Avec mes oranges.
    – Vous n'avez rien remarqué ?
fit observer Samia.
    – Quoi
donc ? questionna sa mère.
    Dans le
continu de la lettre, vous n'avez rien remarqué ?
    – Que veux-tu remarquer de plus ? C’est une
calamité !
    — Il est
amoureux.
    –
Quoi ?
    – Il est
amoureux, répéta la fillette avec un sourire espiègle. Il a écrit :
« Mona, la sœur de Taymour, est un être rare. Je suis sûr que vous
l'aimerez beaucoup. »
    Nadia
haussa les épaules.
    – Et
alors ?
    – On ne
dit pas : « Je suis sûr que vous l’aimerez beaucoup » si on n'a
pas l'intention de présenter la personne
à sa famille.
    Latif se
mit à rire.
    – Elle n'a
pas tort, cette petite.
    Hussein
balaya l'air d'un geste agacé.
    –
Qu'importe !
    – Il
faudrait que je lui écrive un poème pour sa bienaimée, s'enflamma Soliman.
    – Oui,
bien sûr, se récria Hussein. Tu n’as vraiment rien de mieux à faire !
Tu...
    Quelques
coups frappés à la porte l'interrompirent.
    – Qui
est-ce ? s'étonna Nadia.
    Latif se
leva le premier et alla ouvrir. Il reconnut

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