Le souffle du jasmin
qu'il existe un Orient.
L’Orient est un visage aux mille facettes, une...
La voix de
Nidal les interrompit.
– Je vois
que vous avez fait connaissance.
Dans un
élan affectueux, il attira sa sœur contre lui.
– Si vous
saviez comme je suis jaloux d'elle. Elle a tous les dons. Elle joue
admirablement du piano, au trictrac mieux qu'un homme et parle le français
aussi bien qu'une Française.
Dounia
surenchérit en riant :
– Et
l'Anglais comme... une Française.
Elle
tendit la main vers Levent.
– Je vous
laisse entre hommes. Je tombe de sommeil.
Pris de
court, le diplomate balbutia :
– Heureux
de vous avoir connue. J'espère que…
– Mais
oui, mais oui, monsieur Levent. Nous nous reverrons, n'en doutez pas.
Elle fit
un petit signe de la main et s'évanouit au bout à la terrasse.
–
N'est-elle pas étonnante ? commenta Nidal. Elle est ma seule famille ou
presque, et réciproquement. Nos parents nous ont quittés il y a onze ans. Je
lui ai servi de père et de grand frère. Je l'adore.
– Elle est
charmante, en effet.
Charmante ?
Un euphémisme, pensa Levent. Le souvenir Dounia n'était pas près
de quitter ses pensées.
– Vos
parents sont donc décédés la même
année ? se reprit-il.
– Dans des
circonstances que je préfère ne pas
évoquer.
Nidal changea de sujet :
– J’ai de bon nes nouvelles pour vous. Notre ami
Rachid el-Keylani m'a autorisé à vous emmener à l'une des réunions politiques
que lui et ses fidèles ont pour habitude de tenir.
Les traits du Français
s'éclairèrent :
– Excellente nouvelle, en effet.
Quand ? Où ?
L'Irakien secoua la tête, l'air
mystérieux.
– Vous
le saurez. Demain. Peut-être après-demain... Ou dans dix jours. Inch
Allah...
Il s'approcha de Levent et chuchota à
son oreille :
– Dans la nuit noire, sur la pierre
noire, une fourmi noire. Dieu la voit.. .
Deuxième partie
7
Le Caire, le 10 mars 1919
Chers parents,
J'espè re que cette lettre vous trouvera
tous h eureux
et en bonne santé. La famille de Taymour est absolument adorable. N'en prenez
pas ombrage, mais par moments j'ai l'impression de vivre ici dans un autre chez-moi. Tout le m onde est d’une grande gentillesse,
même si Loufti bey est parfois un peu grognon. Malgré ses airs bourrus, je su is per suadé que le fond est bon. Son
épouse, Amira, est une femme exquise. Si j'osais, je dirais qu'elle est presque
aussi belle que maman. Presque. Attention, mama, la nuance est importante. Mona, la
sœur de Taymour, est quant à elle un être rare. Je suis sûr que vous l'aimerez
beaucoup. Elle m'a confié qu'elle rêvait de faire des études d'infirmière. Malheureusement,
ses parents
s'y opposent ; ils estiment que ce n’est pas là un métier pour une fille
de famille. J'avoue que je ne sais que penser. Mais il faut bien que des femmes – d'où qu’elles soient issues – se dévouent pour soigner
les malades. Et puis, surtout, a-t-on le droit de contrarier une vocation ?
En vérité, Mona passe ici aux yeux de tous pour une femme moderne. Elle ne
cache pas son admiration pour une personnalité qui, depuis quelque temps déjà,
fait beaucoup parler d’elle l’Égypte. Elle s’appelle Hoda Charaoui. À presque
quarante ans, figurez-vous qu’elle a fondé une revue dite féministe de langue
française, qu’elle a intitulée L’Égyptienne, et a créé l’Union féministe ! Cet être étonnant
ne s'occupe pas uniquement des droits de la femme. Elle se bat aussi pour
l’indépendance de l'Égypte. Il y a quelques jours, plus de trois cents femmes
ont répondu à son appel à manifester dans les rues du Caire contre la mesure
d’exil qui a frappé le patriote Saad Zaghloul, une autre figure
emblématique du pays. On pouvait voir des musulmans et des coptes marchant côte
à côte, unis dans le même élan. Je faisais partie du mouvement.
Pour que
vous compreniez mieux ce qui s'est passé, vous devez savoir que les Anglais,
lassés des récriminations du nationaliste égyptien, se sont emparés de lui et
de deux de ses compagnons et les ont exilés vers l'île de Malte. Pouvez-vous
imaginer un acte aussi indigne ? Arrêter un homme qui réclame la liberté
pour son pays ? Le jeter aux fers, le chasser de sa terre natale ?
Maintenant, vous comprendrez mieux pourquoi je n'ai pas pu m'empêcher de réagir
et de participer aux manifestations ;
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