Le souffle du jasmin
conseil d’administration
avec un président, un trésorier et un secrétaire. La cotisation annuelle sera
de 10 piastres. Nous allons aussi créer une banque arabe. Tout souscripteur de
5 000 livres d'actions aura le droit de siéger au conseil d'administration.
Grâce aux fonds que nous récolterons, nous créerons deux universités. L'une
pour les garçons, l'autre pour les filles. L'éducation, vois-tu, sera aussi une
forme de résistance. Ces gens qui arrivent d'Europe savent non seulement manier
les armes, mais ils ont fait des études. Comment veux-tu que nos paysans, qui,
dans leur majorité, sont illettrés, puissent rivaliser ? Certains d'entre
eux n'ont même jamais visité la ville la plus proche de leur village !
Latif
saisit la main de son cousin, une flamme d'enthousiasme dans le regard.
— Tu verras. Nous gagnerons.
Hussein
garda le silence, mais dans ses yeux se lisait une tristesse infinie. Dès qu'il
le pourrait, il irait voir Josef Marcus.
*
Le Caire, fin mars 1919
Bâillonnée, ligotée, la jeune femme fut jetée par ses ravisseurs en
travers de la voie ferrée. Elle roulait des yeux blancs. La fumée dune
locomotive s'éleva au-dessus des arbres, à quelques centaines de mètres de là.
Mona poussa un gémissement.
Soudain, un homme bondit et, saisissant la jeune femme par les
aisselles, la tira loin de la voie ferrée. Une seconde plus tard, le monstre
d'acier passa, entraînant un interminable convoi.
Les doigts de Mona étreignirent le
bras de son voisin.
L'homme défit le bâillon de la prisonnière et lui délia les chevilles
et les mains. Ils se regardèrent longuement. Puis elle défaillit dans les bras
de son libérateur.
La fin de
l'histoire s'afficha en lettres blanches sur fond noir, avec sous-titres en arabe : « Ils se
marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants. »
Des
applaudissements fusèrent. La lumière se ralluma dans la salle du cinéma Métro.
Les spectateurs se regardèrent et poussèrent un soupir de soulagement. Que le
film fût muet n'avait en rien altéré la tension dramatique et le rythme de
l'action.
Mourad
retira discrètement la main qu'il avait posée sur celle de Mona Loutfi. Le
geste n'échappa pas au regard de Taymour, assis à la droite de la jeune femme.
Voilà un certain temps déjà qu'il épiait le couple. Mona ne regardait pas
Mourad. Elle le dévorait des yeux et lui ne se privait pas d’en faire autant.
Voilà bientôt six mois que ces deux-là se tournaient autour comme les pigeons
du jardin de l’Ezbequieh. Paradoxalement, ce n'était pas de son ami que Taymour
se méfiait, mais de sa sœur. Avec ses idées « modernes », allez
savoir ce dont elle pouvait se montrer capable !
– Je vous
invite à souper chez Sofar, proposa Taymour, quand ils se retrouvèrent dans la
rue.
Il
s'agissait d'un restaurant syrien à une centaine de mètres de là. Les trois
jeunes gens remontèrent l’avenue bordée d'immeubles de style haussmannien [41] . Un marchand de colliers de
jasmin s'approcha du trio, présentant la marchandise qui embaumait sur son
poignet d'ébène. Mourad lui acheta l’un de ces bijoux éphémères et l’offrit à
Mona qui baissa la tête en rougissant.
Taymour se
pinça les lèvres, partagé entre moquerie et agacement.
Une
vingtaine de minutes plus tard, le trio s'attablait devant des mezzés et des
brochettes d'agneau.
– Alors,
s'informa Mourad, que penses-tu des derniers rebondissements de l'affaire
Zaghloul ? Les choses semblent se calmer, avec la nomination de ce nouveau
haut-commissaire, le général Allenby.
– En
apparence. C'est pour nous apaiser que l'homme a ordonné la libération de notre
héros et de ses compagnons et les a autorisés à se rendre à la conférence de la
paix qui s'est ouverte à Paris. C'est là-bas que va se jouer le destin de toute
la région. Peut-être aussi celui de la Palestine.
– À la
différence que pas une seule délégation palestinienne n'a été invitée à la
table des négociations.
– Je suis
quand même optimiste. Observe ce qui se passe en Syrie. Les Anglais s'apprêtent
à quitter le pays.
– C'est
vrai. Mais tu n'es pas sans savoir que, selon les fameux accords Sykes-Picot,
Damas doit tomber dans l'escarcelle de la France. Tôt ou tard, les Français
viendront prendre leur dû.
– Non. Les
Français ne feront rien. La Syrie sera gouvernée par Fayçal. Patience...
– Mon
frère a raison, murmura Mona.
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