Le souffle du jasmin
berges.
8
Dieu
nous donne des mains, mais il ne bâtit pas les ponts.
Anonyme
Kibboutz Degania, avril 1919
Hussein Shahid examina le groupe d'agriculteurs qui
s’affairaient dans les champs et poussa un sifflement admiratif.
– Décidément, Josef, vous apprenez vite.
Il montra le bétail rassemblé non loin.
— Et vous ne vous contentez pas de semer. C’est bien,
mon ami. Je reconnais que vous êtes doués.
– Nous faisons de notre mieux. Mais ce n'est ni plus ni
moins qu'un village collectif. L'essentiel est de conserver un esprit
communautaire afin que chacun travaille pour le bien-être de tous.
– Combien de familles vivent ici ?
C’était Latif qui avait posé la question. Hussein ne
s’était pas senti le courage de parcourir seul, à bord de
sa calèche, la cinquantaine de kilomètres qui séparaient Haïfa de Tibériade. Il avait insisté pour que son
cousin lui tînt compagnie, sachant aussi que Latif se révélait bien plus au
courant que lui de ces histoires de sionistes et d ’immi gration qui, il devait l’avouer, le dépassaient.
— Combien de familles ? répéta Josef. Une vingtaine environ.
Il versa
du thé dans deux petits verres et les présenta aux Palestiniens.
– Alors,
que me vaut le plaisir de votre visite ?
– Il se
passe des choses graves, Josef. Très graves.
– Un homme
a été tué, annonça Latif el-Wakil. Dans la vallée de Jezreel, sur le terrain
des Sursock.
– On m'a
informé. C 'est une catastrophe. Le monde est
devenu fou.
– Il ne
s'agit pas du monde, monsieur Marcus, objecta Latif mais des sionistes. Vous
souvenez-vous de ce qui s'est passé il y a deux ans ? Des membres de votre Communauté ont tenu à célébrer ce qu'ils appelaient l’« anniversaire de la
Déclaration Balfour ». Le 2 novembre étant jour de shabbat, ils ont décidé
d'organiser le lendemain des manifestations monstres à Jérusalem. Des rumeurs ont couru , laissant entendre qu'ils voulaient
s'emparer du Haram d’Hébron [42] . Vous
savez comment l'affaire s'est terminée : affrontements, batailles rangées.
Le mufti [43] s'est
précipité dans le bureau du gouverneur anglais et lui a lancé que…
– Oui. Je
sais. Il a vociféré que jamais vous n'accepteriez que la Palestine soit donnée
aux Juifs.
– Oui. Et
que ce pays était un pays saint et…
– Latif,
calmez-vous. Vous dramatisez la situation. Vous imaginez que les sionistes –
dont je ne fais pas partie, je vous le rappelle – cherchent à prendre vos terres de force ?
–
Évidemment ! Comment e n
serait-il autrement, puisque leur mouvement a pour principe de bâtir une
réalité nationale sur les ruines de l’autre ?
Il allait
poursuivre, lorsqu’un homme d’une trentaine d’années apparut, taillé comme un
roc, un visage de lutteur. Il tenait une pelle dans la main droite, qu'il planta dans la terre, et prit appui sur le
manche.
–
Permettez-moi de m'immiscer dans votre conversation.
C’ est un peu malgré moi que je vous ai entendu. Mon nom est
Dan Levstein. Comme vient de vous le dire mon ami Josef, vous n'avez rien à
craindre parce que le nombre de Juifs émigrant en Palestine ne dépassera pas
deux cent mille tout au plus. L'idée de créer une nation juive ici est
utopique, ne serait-ce que parce que les Juifs
savent que le pays ne pourra jamais les contenir tous.
– Alors
pourquoi viennent-ils ? Pourquoi les encourager ?
– Question
de vie ou de mort. Question spirituelle, aussi. Les Juifs qui reviennent sur la terre de leurs pères et de
leurs a ncêtres le
font parce que celle-ci est toujours restée ancrée au tréfonds de leur mémoire.
C'est aussi pour fuir l’Europe où ils ont été massacrés, pourchassés.
Dan lâcha
sa pelle et s'assit en face des deux Palestiniens.
– Essayons
d'être objectifs. Depuis que ce pays appartient aux Arabes, il est devenu stérile et aride, vous…
–
Aride ! Stérile ! protesta Hussein. Comme osez-vous affirmer une
chose pareille ! Nous avons planté des centaines de milliers
d'orangeraies, d'oliveraies que nous exportons, nous produisons des produits
laitiers, nous…
– Je n'en
disconviens pas, mais vous êtes loin des richesses extraordinaires que vous
auriez pu tirer de cette terre. Laissez-moi aller au bout de mon raisonnement.
Toutes les nations qui ont colonisé ce pays y ont laissé des vestiges qui
rappellent leur présence. Toutes. Sauf les Arabes. Si l'on vous
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