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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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civilisation moderne a des besoins croissants.
    – Si je vous entends bien, répliqua
Briard, notre politique étrangère est également étrangère aux principes hérités
du siècle des Lumières ?
    Levent fit
mine de s'étonner.
    – Lesquels ?
    Manifestement
l'homme avait planté ses crocs et n'était pas prêt à lâcher sa prise.
    – L'égalité des humains et le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes, rétorqua Briard C'est l'évidence,
non ?
    Les autres
conversations s'interrompirent dans le fumoir. Tous tendirent l'oreille pour ne
rien perdre du dialogue. D'ailleurs, il ne s'agissait plus d'un dialogue, mais
d'une passe d'armes.
    Levent se
pinça les lèvres. Pourquoi la voix de Dounia était-elle tout à coup si
présente ?
    C’est donc ainsi que va le monde ? Mené par le
cynisme et la voracité. Une évidence qui manifestement, n’éveille en vous aucun
état d'âme.
    Il dut
faire un effort pour rétorquer :
    – Le problème de ces peuples est
justement qu'ils ne sont pas en état de disposer d'eux-mêmes. Ils ont été
affaiblis par des siècles de tutelle ottomane.
Nous les aidons à devenir des États modernes.
    – En leur
imposant nos volontés au mieux de nos intérêts et en captant leurs ressources naturelles. Ah,
quelle belle leçon de démocratie républicaine !
    Quelques
rires étouffés jaillirent.
    – Il est juste que nous retirions
quelque dédommagement de nos efforts ! s'énerva Levent en se demandant à
quoi servait cette joute, alors qu'au tréfonds de lui il partageait les
arguments de son interlocuteur. Mais comment celui-ci aurait-il pu s'en
douter ? Il attendit la salve suivante. Elle ne tarda pas.
    – Les récents événements au
Moyen-Orient, reprit Briard, démontrent en tout cas que ce n'est pas ainsi que
les Arabes perçoivent les efforts de la France et de l'Angleterre. Non
seulement vous les humiliez publiquement, mais, contrairement à des promesses solennelles
réitérées au cours de je ne sais combien de conférences internationales, vous
leur refusez le contrôle de leurs territoires. On dit même que l'Angleterre
aurait l'intention d'installer en plein cœur d'une terre arabe un foyer juif.
    – La Palestine fut autrefois un
royaume juif, si je ne me trompe, observa Levent.
    – Vous voulez dire que les Juifs
l'avaient conquise sur les Philistins, d'où le nom du pays jusqu'aujourd'hui.
    – Conquête équivaut à possession.
    – Eh bien, Saladin l'avait
reconquise et je vous renvoie votre argument ! j’ajouterai aussi un
exemple plus frappant encore qui nous concerne.
    – Nous concerne ?
    – Nous, la France. Nous affirmons
que l’Alsace-Lorraine nous appartient, alors que nous ne l'avons annexée que
depuis à peine deux cents ans et qu'auparavant cette région était allemande.
Alors, de quel droit les Juifs peuvent-ils prétendre effacer un règne, celui
des Palestiniens, qui dure depuis plus de deux mille cinq cents ans ?
    – Là n’est pas la question, objecta
Levent qui commençait à être lassé non du débat, mais de sa propre mauvaise
foi. Les Juifs serviront de tête de pont à la politique européenne.
    À nouveau
les propos de Dounia jaillirent.
    Je suis un Lilliputien. Un grain de sable.
    Non, Jean-François, vous n'êtes ni l'un ni l'autre.
Vous êtes seulement un algébriste.
    – Alors,
poursuivons cette politique aveugle, lança Briard, mais ne nous étonnons pas si
un nouveau Saladin se lève un jour.
    Levent se contenta de fixer Briard un long moment, puis éteignit méticuleusement son
cigare.
    – Cher maître, si les Arabes cherchaient un jour un
défenseur en Europe, je vous demanderai la permission de suggérer votre nom.
    – Oh, rassurez-vous ! Je ne
crois pas qu'ils aient besoin d'un défenseur. Ce siècle ne s'achèvera pas
qu'ils auront trouvé le moyen de vous faire entendre eux-mêmes leurs arguments.
    Levent
resta silencieux.
    Cette
fois, ce ne furent pas les mots de Dounia qui frappèrent son esprit, mais ceux
que lui-même avait prononcés, à Londres, dans le bureau de lord Grey, au
Foreign Office.
    Ce plan
Sykes-Picot, sauf votre respect...
    Il va nous
exploser à la gueule...
     
     
    *
     
     
    Haïfa, juillet 1920
     
     
    Hussein et
son fils Soliman observaient les quais par la fenêtre du bureau. À quelques
dizaines de mètres sur la droite, les passerelles d'un paquebot turc, le S.S. Erzeroum , déversaient des flots d'arrivants.
À l’évidence, ceux-ci n'étaient pas des touristes, ils

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