Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
Vom Netzwerk:
déjà connu des femmes, mais, à la
différence de la plupart de ses camarades, pour ne pas dire la majorité, l'amour
n'avait jamais été pour lui une priorité ; le sexe, encore moins. Il se
serait interdit de le reconnaître tout haut, mais il n'avait guère éprouvé de
plaisir ou si peu. Un jour qu'il s'en était ouvert auprès d'une amie d'enfance,
elle avait ri et, pour le taquiner, lui avait soufflé à l'oreille qu'il devait
préférer les hommes. Absurde ! avait rétorqué Taymour. Il se serait bien
gardé de lui révéler qu'une fois, une seule, il s'était livré aux « amours
grecques », comme les qualifiait pudiquement son professeur de
philosophie, M. Abdel Meguid, helléniste invétéré. Taymour avait à
l'époque vingt et un ans. Son partenaire était sensiblement plus âgé. Dire que
cette séquence amoureuse ne fut pas concluante relevait de l'euphémisme. En
tout cas, elle lui avait enseigné qu'à choisir, un corps de femme était ce
qu'il préférait. Un corps de femme. Soit. Mais en Égypte, il eût été plus
facile de trouver un flocon de neige au pied du sphinx qu'une jeune fille
disposée à s'offrir hors des liens du mariage. Une jeune fille de bonne
famille, entendons-nous. Prendre la main d'une amoureuse était déjà une forme
d'engagement officiel et un premier pas vers la mosquée, l'église ou la
synagogue. De toute façon, que faire de plus osé lorsque, dans la très grande
majorité des cas, un chaperon, un frère, une sœur, un cousin était prêt à rugir
au moindre effleurement discourtois ? Taymour lui-même n'avait-il pas joué
ce rôle avec Mourad et Mona ?
    – Pourquoi
ne réponds-tu pas ?
    La voix de
Zulficar le tira de sa songerie.
    – Pardon,
tu disais ?
    – Je
disais : comment envisages-tu l'avenir ? Comment crois-tu que les
choses vont évoluer dans notre pays ?
    Il sentit
le regard de la jeune fille posé sur lui et faillit répliquer : « Je
me vois épouser Nour. » C'était grotesque. Il répondit :
    – Je pense que l'âge colonial va vers sa mort. Quand
mourra-t-il ? Je ne sais. J'aurais bien voulu être devin. Dans dix ans,
dans vingt ans ? Tous ces gens qui occupent et exploitent des pays qui ne
leur appartiennent pas et qui ne leur ont jamais appartenu se verront un jour
ou l'autre forcés de rentrer chez eux.
    – Dix ans ? Vingt ans ? s'offusqua Nour. C'est
si loin. J'aurai quarante-cinq ans, dans vingt ans, et je serai vieille et
laide !
    – Ah ! Mon enfant, s'exclama Loufti bey. Avant
tout, tu ne seras jamais laide. Vieille sans doute, mais la laideur ne
t'approchera pas ! Quant au temps qui passe, qu'est-ce que dix ans ou cent
mille ans au regard de l'Histoire, sinon un pet de bufflesse. Mon fils dit
souvent des bêtises, mais là, j'admets qu'il a raison : les intrus s'en
iront.
    – Pardonnez-moi, Loutfi bey, d'où tenez-vous cette
certitude ?
    – Écoute-moi bien, ma fille. Personne ne peut rester
indéfiniment dans une maison qui n'est pas la sienne, dans une famille qui vous
méprise et n'attend qu'une seule chose : vous étrangler dans votre
sommeil. Alors, cent ans ou mille ans ? Quelle importance ? N'oublie
jamais ceci : une horloge n'a pas conscience du temps qui passe. Et
l'Histoire est une horloge.
    La jeune fille se retourna vas Taymour avec un sourire.
    – Votre père est un grand sage.
    Le jeune homme fut à deux doigts de lui répondre :
« Et vous, vous êtes adorable. » Mais il s'entendit plus banalement
demander :
    – Quand repartez-vous pour Alexandrie ?
     
     
    *
     
     
    Alep, le lendemain, 11 août 1925
     
     
    Des coups de feu partaient des terrasses. Du sang
coulait sur les marches qui conduisaient à la maison de Dounia et l'air
empestait la poudre. Des gens couraient dans tous les sens. Le quartier
ressemblait à une fourmilière qu'on a p iétinée. Les canons français
ripostaient du haut de la ci tadelle.
    Jean -François se rua sur le
marteau de la porte et frappa à plusieurs reprises.
Il n eut aucune réponse. Reculant d'un
pas, il hurla en direction
des fenêtres : « Dounia ! »
    Où avait-elle disparu ? Était-elle repartie
à Bagdad ? Sa der nière lettre indiquait
pourtant qu'elle n 'avait pas
l'intention d'y retourner avant la
fin du mois de septembre. Se pourrait- il que, devant la révolte
qui avait éclaté en juillet, elle ait modifié ses plans ?
Ce n 'était pas improbable. Il regarda autour de lui, éperdu.
    Tout à coup, il se souvint : le

Weitere Kostenlose Bücher