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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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fils, il l'encouragea à éteindre les bougies qui
scintillaient sur le gigantesque gâteau au chocolat. Sa mère égrena le
décompte : un, deux, trois ! Mais, prenant tout le monde de court, au
lieu de souffler, le petit Hicham enchaîna, espiègle :
« Quatre ! » Fusions de youyous. Cris de joie et
applaudissements saluèrent le petit-fils de Farid Loutfi bey. Ce dernier, un
peu en retrait, essayait de masquer son émotion, mais son cœur n'en battait pas
moins la chamade.
    D’un geste
furtif, il refoula une larme qui enflait dans l'angle des paupières et se
retira discrètement vers la véranda. En passant devant la baie vitrée, il
croisa son reflet et s'arrêta quelques secondes, surpris par l'image entrevue.
Cet homme aux cheveux blancs, à la moustache blanche elle aussi, ce visage
labouré de rides, était-ce bien lui ? Loutfi bey ? Soixante-six
ans ? Il pensa : « Déjà ? » Hier, n’était-il pas ce
petit garçon qui, à l'instar de Hicham, soufflait ses bougies avec fierté et
insouciance sous les cris de joie de son papa et de sa maman ? Hier, ne
recevait-il pas sa panoplie de chevalier des mains de Youssef, son grand-père adulé ?
    Hier.
    Un
battement de paupières que la durée de nos vies ; le temps de s'y
accoutumer et déjà une main nous indique la sortie. Injuste ? Non. Il
était sain sans doute de céder la place une fois la mission accomplie. Loutfi
partirait sans trop de regrets. Et s'il devait éprouver quelque pincement au
cœur, ce serait pour l'Égypte.
    En douze
ans, peu de choses avaient changé. Le pays vivait plus que jamais sous la
férule anglaise, et le Brave n'était plus là pour crier sa révolte. Épuisé,
déprimé, Saad Zaghloul avait rendu l'âme un matin d'août 1927.
    Neuf ans
plus tard, le roi Fouad, la marionnette de Sa Majesté britannique, l'avait
suivi dans la tombe, cédant la place à son fils unique, Farouk, un enfant de
seize ans. On raconte que, dans ses derniers jours, le monarque, se sentant
condamné, n'avait cessé de penser à cet adolescent, préoccupé par l'idée qu'il
aurait à lui succéder sur un trône posé sur des sables mouvants et sans qu'il
ait eu le temps d'acquérir une formation suffisante. Trop tard.
    Le 15 mai
1936, sous les yeux de la cour réunie au grand complet, le jeune souverain
avait débarqué à Alexandrie. « Daniel dans la
fosse aux lions », aurait alors murmuré un journaliste anglais. La
première démarche du garçon fut d'aller s'incliner devant la sépulture de son
père, inhumé à la mos quée El-Rifaï. Une fois là, il
était redevenu ce qu’il était : un enfant. Oubliant toutes les règles
protocolaires, il s'était jeté sur le marbre fraîchement scellé et avait fondu
en larmes.
    L'héritier
était beau. La presse avait étalé ave c fierté ses
photos en première page. Les deux illustrés El-Moussawar et Images publièrent des numéros spéciaux à
la fois sur le deuil du pays et le retour du prince. À l'occasion, on diffusa
aussi les portraits de ses quatre ravissantes sœurs et de sa redoutable mère,
Nazli. De fait, on ne vit jamais tant Nazli qu'après la disparition de son
époux, qui, pendant des années, l'avait tenue recluse dans le palais de
Koubbeh. En coulisse, le nouveau haut-commissaire anglais, sir Miles Lampson,
se frottait les mains : il ne ferait qu'une bouchée de ce petit roi. The kid, l'enfant, comme il le surnommait déjà.
    Un sourire
mélancolique apparut sur les lèvres de Loutfi bey. Un roi de seize ans à la
tête de vingt-deux millions de sujets, d'un héritage d'environ cent millions de
dollars, propriétaire de six palais et d'innombrables propriétés agricoles. Un
gamin face à des adultes avides, dans un monde en ébullition. Depuis plus d'un
an, l'Espagne était en proie à la guerre civile. Les Japonais s'apprêtaient à
envahir la Chine. Un dictateur italien, Benito Mussolini, avait fait main basse
sur l'Éthiopie, alors qu'en août 1936, à Berlin, le chancelier Adolf Hitler,
célébré comme le sauveur messianique de l'Allemagne, quittait la tribune
officielle des Jeux olympiques pour éviter d'avoir à serrer la main d'un
champion noir américain dont les succès aux épreuves d'athlétisme
ridiculisaient sous ses yeux ses doctrines sur la « supériorité »
raciale des Aryens.
    Que Dieu
protège l'Égypte !
    Mais, au
cours des dernières années, il n'y avait pas eu que l'avènement d'un nouveau
roi et la mort d'un patriote. Un autre événement

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