Le souffle du jasmin
que notre retour à Sion est soutenu par un facteur puissant :
l'impératif de vie, la volonté de vivre d'un peuple, légitimée par les
souffrances de deux mille ans d'Histoire.
Le « fils de lion » marqua
une courte pause avant de poursuivre :
– C 'est seulement
sur cette base – la reconnaissance par les Arabes de cette évidence – qu’il
sera possible de parvenir à une entente mutuelle. Et…
Marcus ouvrit la bouche manifestement
pour protester, mais n'en eut pas le temps.
– P atience, Josef ! J'ajoute et précise : cette entente ne sera
pas possible sans la reconnaissance de notre part d'une autre évidence :
nous trouvons installés en Palestine depuis des centaines d'années des masses
arabes dont les ancêtres y sont nés et morts et qui considèrent cette terre
comme leur pays, un pays où ils veulent aussi vivre aujourd'hui, comme dans le
futur. Nous devons donc impérativement accepter cette réalité et en tirer
toutes les conclusions qui en résultent. C'est la base même d’une compréhension
véritable entre les Arabes et nous.
– Un vœu pieux, David, sourit Josef Marcus. Tu imagines bien que
l'effort de compréhension que tu demandes ne viendra pas en premier lieu des
Arabes, car ce qui est pour nous une vérité sans appel – la volonté du peuple
Juif d'avoir son propre pays – n'est pas compréhensible pour eux.
– C'est exact. Seule notre croissance en nombre dans le pays peut les
amener à reconsidérer notre situation et à reconnaître qu'ils n’ont pas
seulement affaire aux Juifs de P alestine, mais au peuple juif tout entier. C'est une
question de temps.
– C'est donc le temps qui les contraindra, nota
Irina. Le fait accompli. Comme le proclament les Jabotinsky, les Stern, les
Begin et autres extrémistes de droite.
David Ben Gourion poussa un cri, presque un
rugissement.
– Non ! Je n'ai jamais envisagé cela. Je suis
parfaitement conscient qu'il y a parmi nous des personnes qui refusent de
reconnaître l'existence de sept cent mille Arabes en Palestine et qui n'ont pas
tiré les conclusions qui s'imposent de cette évidence. Mais, à mes yeux, il
existe dans le monde un principe établi : c'est le droit à
l'autodétermination. Nous-mêmes avons été toujours et partout de fervents
défenseurs de ce principe. Nous sommes de tout cœur favorables à
l'autodétermination pour tout peuple, pour toute partie d'un peuple, pour tout
groupe humain et il ne fait aucun doute que le peuple arabe de Palestine a
droit à cette autodétermination. Ce droit ne doit être ni limité ni conditionné
par les conséquences que cela peut entraîner pour nous. Nous ne devons pas
limiter la liberté d'autodétermination arabe par crainte que cela rende notre
action plus difficile. Le fond moral qui est à la base de l'idéal sioniste,
c'est la conception selon laquelle le peuple – tout peuple – représente une fin
en soi et non un moyen dont disposent les autres peuples et dont ils se servent
pour leur fin propre. Nous ne pouvons considérer les Arabes de Palestine comme
un moyen, ni décider de leurs droits selon nos plans, même dans le cas où tout
dépendrait complètement de notre volonté [83] .
Il prit une courte inspiration et demanda :
– Ai-je été clair, mes amis ?
Irina opina avec un sourire.
– Espérons seulement que ces autres personnes que tu
as mentionnées, celles qui refusent de reconnaître l'existence de sept cent
mille Arabes en Palestine, partagent ta sagesse, David.
*
Paris, 5 janvier 1937
Accoudée au Pont-Neuf, Dounia se tut
et l'allégresse qui la soulevait un instant plus tôt se mua en mélancolie. Le
changement d'humeur n'échappa pas à Jean-François.
– Qu'y a-t-il, mon ange ? Tu
t'éloignes.
Elle lui adressa un vague sourire.
– Je suis là. Et un peu ailleurs.
– Bagdad ?
Elle montra les eaux du fleuve qui
roulaient sous les arcs de pierre.
– Douze ans que je vis à Paris et
c'est un réflexe que je maîtrise toujours aussi mal : est-ce la Seine ou
le Tigre ?
– Tous les fleuves se ressemblent.
– Je n'en suis pas certaine. En tout
cas, ils n'ont pas la même histoire.
– Il est question que je parte en
Palestine d'ici la fin de l'année. Veux-tu m'accompagner ? Ensuite, si tu
le souhaites, nous pourrions aller rendre visite à Nidal, à Bagdad.
Une expression de joie presque
enfantine illumina le visage de Dounia. Elle se lova contre lui. Dix ans de
mariage sans qu'à
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