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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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aucun moment s'émousse la ferveur qui les liait. S'il n'y
avait eu cette révolte syrienne, il est probable que Dounia serait toujours à
Alep et, le temps passant, leur histoire se serait diluée dans la frustration
et la lassitude. Une véritable tragédie d'ailleurs que cette révolte. Des
villages incendiés, des rebelles pendus sans procès, dont les dépouilles
avaient été exposées à la vue des habitants sur la grand-place de Damas et la
ville bombardée pendant trois jours et trois nuits l’artillerie du général
Gamelin puis ravagée par les flammes. Au fil des semaines, la répression menée
par l'armée française avait eu l'effet contraire de celui escompté. Jour après
jour, des volontaires de tous âges étaient venus grossir les rangs des insurgés
et aucune cible n'avait échappé aux hommes du sultan El-Atrach. Deux ans. Deux
ans d'un bras de fer. Si des mésententes n'étaient apparues sur l'objectif à
peindre et la façon de l'atteindre entre les différentes familles et
communautés syriennes, l'affrontement aurait duré beaucoup plus longtemps.
    Levent saisit la main de Dounia et
ils marchèrent lentement vers la rive gauche. L'air était fluide et pur et les
toits se coloraient de rose aux abords du soir. L'hiver vibrait sur un Paris en
proie aux tensions sociales de toutes sortes : chômage, crise agricole,
paralysie du commerce, sans oublier les scandales politiques et financiers,
l'affaire Stavisky n'étant pas des moindres. La III e République
poursuivait cahin-caha son chemin vers l'abîme. Heureusement qu'une dizaine de
jours plus tôt l'Exposition internationale universelle avait ouvert ses portes,
prodiguant une bouffée d'oxygène à une société à bout de nerfs.
    – Hier, dit Levent, tandis qu'ils
remontaient le long du quai de Conti, j'ai fini de lire les Mémoires de
Lawrence. Quel homme et quel destin ! Les deux m'ont paru aussi complexes
l'un que l'autre.
    Il sortit un bristol de la poche de
sa veste et lut :
    – « Tous les hommes rêvent, mais
inégalement. Ceux qui rêvent la nuit dans les recoins poussiéreux de leur
esprit s'éveillent au jour pour découvrir que ce n'était que vanité ; mais
les rêveurs diurnes sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur rêve
les yeux ouverts, pour le rendre possible. » Intéressant, n'est-ce
pas ?
    – El-Aurence , comme le surnommaient paraît-il les Arabes, s'est,
hélas, trompé de rêve. Dommage. Et quelle fin stupide. Un accident de moto à
quarante-six ans, alors que pendant des mois il a passé son temps à flirter
avec la mort. Absurde !
    Levent commenta avec une moue dubitative :
    – Absurde et frustrant. Nous ne saurons jamais qui se cache derrière la mystérieuse
dédicace imprimée que l'on trouve au début de l'ouvrage : « À
S.A. » Un homme ? Une femme ?
    – Que dit-elle ?
    – Oh, mais c'est une véritable déclaration
d'amour ! Des gens du Quai d'Orsay chuchotent que Lawrence aurait eu un penchant pour le sexe masculin et que
S.A. correspondraient aux initiales de son amant, Selim Ahmed, un jeune Syrien
dont il aurait fait la connaissance à l'époque où il se livrait à des fouilles
archéologiques au nord de la Syrie.
    – Amant ou non, quelle importance ! Si seulement
il avait fait preuve de plus de prévoyance, peut-être n'en serions-nous pas
arrivés là.
    – Je vais te décevoir, mais je pense que même si
Lawrence avait compris plus tôt qu'il était manipulé par ses supérieurs, il
aurait quand poursuivi sa mission.
    – Alors, il a eu
raison d'écrire : « Les rêveurs diurnes sont des hommes dangereux. »
     
     
    *
     
     
    Bagdad, 6 janvier 1937
     
     
    À soixante-quatre ans, la lassitude du corps avait rejoint celle de
l'esprit. Nidal el-Safi grimaça en se calant dans le fauteuil. Sa sciatique se
rappelait à lui. Il jeta un regard circulaire sur l'assemblée réunie chez Rachid
el-Keylani : trois députés, parmi lesquels Chams, son propre fils, qui, à
défaut de prendre les armes, s'était lancé dans la politique.
    Il éteignit la cigarette et essaya de se concentrer sur les propos de
leur hôte.
    Depuis que son oncle le naquib , e x-Premier
ministre de Fayçal, était décédé, Rachid était devenu une figure de proue de la
politique irakienne. Il avait occupé successivement les fonctions de ministre
de la Justice, de l'Intérieur et même celle de Premier ministre. Puis les choses
s'étaient envenimées en 1930, au moment de la nomination à ce

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