Le souffle du jasmin
poste d'un
personnage à l'égard duquel on ne pouvait éprouver que mépris : Nouri
el-Saïd. À coup sûr le politicien le plus honni du peuple, de la famille
El-Keylani et de Rachid en particulier. Démoralisé, ce dernier avait claqué la
porte et fondé son propre parti, la Confrérie nationale, qui devait favoriser les objectifs des
nationalistes s'inspirant largement des options prises par le grand mufti de
Jérusalem, Amin
el-Husseini, lequel préconisait une alliance avec l'Allemagne nazie. Pour expliquer ce
choix, le mufti affirmait que, s 'il existait une chance, aussi infime
fût-elle, pour que la Palestine fût libérée de ces pestiférés d'Anglais et des
sionistes, elle viendrait de Berlin. Rachid était parvenu à la même conclusion
concernant l'avenir de l'Irak.
Aujourd'hui, à quarante-cinq, ses nouvelles convictions se reflétaient
dans ses traits creusés et son regard incroyablement durci.
Le naquib était décédé, et le roi Fayçal aussi.
L'émir, à qui Lawrence avait promis de régner sur un empire arabe,
s'était éteint à Genève, victime d'une crise cardiaque alors qu'il buvait une
tasse de thé. Il était mort, le 7 septembre 1933, le visage tourné en direction
de La Mecque où régnait à présent Ibn Séoud, l'ennemi héréditaire, gardien des
deux mosquées et fondateur d'un royaume – l'Arabie Saoudite – qui semblait voué
à un fabuleux destin grâce à la manne pétrolière découverte dans ses sous-sols
et que nul n'avait vue ou pressentie, pas même le colonel Lawrence.
Fayçal disparu, son fils, Ghazi I er , jeune homme timide,
sans grande expérience, fervent défenseur du nationalisme arabe et opposant
farouche à l'Angleterre était monté sur le trône. Nul doute qu'au tréfonds de
lui il souhaitait la naissance d'une grande nation arabe, sous l'égide d'un
Irak libre et indépendant. Peu après son accession au pouvoir, il avait
inauguré une station de radio : Kasr el Zouhour, le Palais de fleurs, qui
se voulait un véritable outil de propagande dédié à la cause arabe. Et puis...
brusquement, un coup de théâtre avait tout bouleversé.
Le 19 octobre 1936, aux premières lueurs de l'aube, sous l'influence
d'un politicien d'une cinquantaine d'années d'origine turque, Hikmet Süleyman,
le général kurde, Abou Bak Sidqi, avait lancé une attaque-surprise sur Bagdad, le Premier ministre d'alors, Yassin el-Hashimi. C’était le premier coup
d'État militaire dans l'histoire du pays et aussi le premier du monde arabe
moderne.
Le roi ? Ghazi I er se
réfugia dans son palais, terrifié.
Les Anglais ? Pétrifiés.
Les parlementaires ? Cloués sur
leurs bancs.
L'opinion publique ? Muette,
attendant, la suite des événements.
Abou Bakr Sidqi avait convoqué le
cabinet et sommé de démissionner sur-le-champ.
Dans toutes les capitales orientales,
on suivit d'heure en heure les événements de Bagdad. Les discours de Sidqi
galvanisèrent une bonne partie de l'opinion arabe : « L'arabisme,
déclara-t-il, est parti de bonnes intentions qui se sont diluées dans des flots
de paroles et n'ont inspiré aucune action décisive. » Hikmet Süleyman,
lui, annonçait au contraire des réformes, la lutte contre la corruption, le
renforcement de l'armée, l'augmentation de l'impôt sur le revenu et l'héritage,
le développement de l'enseignement, une législation sociale avancée, la
création de monopoles économiques... Bref, l’application du modèle turc créé
par Atatürk.
Toutefois, assez rapidement, le
château de cartes s'effondra. Le groupe qui avait soutenu Sidqi après le putsch
n'obtint que 11 % des voix aux élections. Insensiblement, les électeurs
s'étaient écartés de celui qu'ils considéraient désormais comme un banal
dictateur.
En ce matin de mai 1937, El-Keylani
pouvait donc annoncer :
– Mes amis, tout est consommé. Sidqi
a démissionné. Ghazi I er est sur le chemin du retour. Demain au plus
tard, le fils du défunt Fayçal réintégrera sa place sur le trône.
– Quel fiasco ! s'exclama un
député. Tout ce chamboulement aura duré dix-neuf mois et pour quel
résultat ? Comme aurait dit notre ami Shakespeare : Much ado about nothing . Beaucoup de bruit pour rien.
– C'était prévisible, déclara
El-Keylani.
– Ah bon ! Personnellement,
j'étais certain que Sidqi avait encore de beaux jours devant lui.
– C'était prévisible, parce qu'il lui
a manqué l'essentiel : l'appui d'une véritable armée. Avouez que,
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