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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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pourquoi
pas ?
    Aziz commanda comme dessert des kounafas [86] et du café. Il paya tout. Trente-sept
piastres. Trente-sept piastres ! L'armée. Oui. Pourquoi pas ?
     
     
    *
     
     
    Bloudan, en Syrie, 6 février 1937
     
     
    Dounia jeta un coup d'œil en coin
vers Jean-François. Il épongeait discrètement son front. Elle-même étouffait.
Pourtant, la ville se situait à mille cinq cents mètres d'altitude, et les hautes fenêtres de la salle du gouvernorat ouvraient sur le couchant. On eût dit que tout
était figé : le temps, le paysage et même la Barada, la rivière qui
serpentait au cœur de la vallée de Zabadani.
    Levent se pencha vers sa femme et chuchota :
    – Tu ne m'en veux pas trop de t'avoir entraînée dans ce guet-apens ?
    – Ne suis-je pas ton épouse orientale et donc soumise ?
    Il sourit et reporta son attention sur le conférencier. Bien que non
gouvernemental, ce Congrès, dit de Bloudan, ne manquait pas d'intérêt puisqu'il
réunissait un certain nombre de notables et d'activistes arabes. Parmi les
faits dominants, il y avait eu l'entrée en scène de l'Égypte, absente l'année
précédente. D'ailleurs, celui qui s'exprimait n'était autre que l'ancien
ministre égyptien de l'Instruction.
    L'homme se racla la gorge pour la troisième fois et reprit :
    – Après l'exposé du secrétaire du Comité de défense de la Palestine et
le discours de M. le Président, j'estime n'avoir plus rien à ajouter.
Néanmoins, pour remplir un devoir, je me permets de proposer que le Congrès
adresse un salut d'estime et d'admiration à ce héros et militant arabe qu'est
le grand mufti de Jérusalem, Hajj Amin el-Husseini, sachant qu'il se porte
toujours à l'avant-garde lorsqu'il s'agit du bien de la Palestine et de la
Patrie arabe. J'ignore – et je tiens à ignorer – les objections qui ont été
soulevées contre sa venue parmi nous. Je voudrais cependant que le Congrès le
proclamât, quoique absent, son président d'honneur. Je vous serais
reconnaissant si vous vouliez bien accepter cette proposition.
    Les applaudissements crépitèrent.
    – Je me plais aussi à souligner un mot du comité, à savoir que la
Palestine n'appartient pas aux Palestiniens, mais aux Arabes. Ainsi, donc, les
Palestiniens sont préposés à la garde des Lieux saints. Les Arabes ont le
devoir de les aider à assurer cette
défense et ce devoir incombe en premier lieu à l'Égypte. Voilà pourquoi je demande dans ce congrès que le gouvernement
et le peuple d'Égypte s'accordent pour défendre la Palestine. Si, pour des
raisons que je ne veux point indiquer, le gouvernement méconnaissait ce devoir, il appartiendrait au peuple
égyptien lui-même de le remplir.
    Nouvelle salve d'applaudissements.
    – La présence d'une nation étrangère en Palestine équivaudrait à celle
d'une gangrène dans le corps arabe !
    Des murmures d'approbation fusèrent ici et là.
    – Messieurs ! Le partage de la Palestine consisterait à offrir à des
Juifs un territoire où les Arabes sont en majorité. Un tel partage forcerait
donc ces derniers à l'exode. Sous prétexte que les Juifs ont une histoire dans
cette région, les Occidentaux, qui ont passé des siècles à les terroriser,
cherchent aujourd'hui à les réintégrer dans leur patrie d'origine. C'est une
démarche que l'honneur et la dignité se refusent à accepter !
    Discrètement, Jean-François fit signe à Dounia qu'il était temps de
partir.
    À l'extérieur, l'air était toujours immobile. La lune, pleine,
éclairait incroyablement le paysage. Ils marchèrent le long d'une allée bordée
d'amandiers. Là-haut, dans le ciel nocturne, la constellation de la Croix du
Sud était fixée dans l'infini.
    – Po urquoi ce départ précipité ? s'étonna l'Irakienne.
    – Parce que j'ai le cœur tellement serré qu'il m'arrive de ne plus
l'entendre battre. Nous sommes à la veille de nous retrouver avec deux
communautés qui n'aspireront qu'à s'entre-tuer. Tu as entendu le discours de
l'Égyptien : « La présence d'une nation étrangère en Palestine
équivaudrait à celle d'une gangrène dans le corps arabe. » Je ne suis pas
devin, mais je suis convaincu que les Arabes passeront les décennies futures à
essayer d'amputer ce qu'ils considéreront toujours comme un corps malade.
    Il changea de sujet et prit Dounia entre ses bras.
    – Je repense souvent à ce que tu m'as dit un jour, à Alep, sous forme de
boutade : « Si Noé avait eu le don de lire dans

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