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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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reprendre son sang-froid.
    — Certes, commença-t-il de mauvaise grâce, je n’ai jamais eu à me plaindre d’elle, ni de ses fils, ni de sa famille. Il est vrai que je leur ai donné un manse bien situé, assez vaste et bien composé. Il est vrai aussi qu’après la mort du mari tout a continué, exactement comme avant.
    Il esquissa une sorte de sourire.
    — C’est pourquoi je le leur ai laissé. Tu m’as demandé : cette Paquette ?
    Il se tourna vers sa femme.
    — Peut-être tu le lui diras mieux que moi…
    Avec une voix grinçante qu’on s’étonnait de voir sortir d’une telle abondance de chair, elle expliqua en un mauvais francique :
    — Bonne travailleuse, pour sûr, mon mari te l’a dit… Mais bizarre, très bizarre. Et d’abord : de quoi son homme est-il mort ? Jeune, après tout… Une maladie inconnue… Emporté en deux jours ! Elle et lui s’entendaient mal, à ce qu’on a dit… Alors, pour certaines, le poison… Oh ! mais là, attention, on n’a jamais rien prouvé… Rien !
    — Comment est-elle ?
    Elle plaça sa main droite horizontalement à hauteur de son épaule.
    — Petite. Mais de la vigueur… Et grosse travailleuse, pour ça, oui… Je te l’ai dit : bizarre… Il lui arrive de partir…
    — Souvent ?
    — Assez ! Deux, trois jours… Quand elle part, elle laisse tout… Il est vrai qu’il y a ses fils… Ils restent sur le manse… Il faut bien, sinon qui s’occuperait des bêtes, des corvées et de tout le reste… On n’a jamais su où elle allait. Jamais. Ni quand, ni où, ni pourquoi !
    — Pour une veuve, on peut imaginer bien des réponses à de telles questions.
    Wanda ricana.
    — Je vois ce que tu veux dire, répliqua-t-elle. Mais qui en voudrait ? Avec l’âge, elle a passé quarante, elle a pris un drôle d’air : une figure jaunasse, et puis son nez, comme un bec de chouette, mais, là, grand, planté au milieu, et ses cheveux…
    Elle montra sa chevelure abondante.
    — Avec une poignée des miens, on ferait toute sa tignasse… alors, je te répète : qui voudrait d’elle ?
    — Et quant à sa disparition ? Rien, pas une indication ? insista Timothée.
    — Des commérages, oui, plaça Tanno lui-même, des choses certaines, non ! Mais dans ce pays de démons et de diablesses, à qui se fier, hein ?
    — Une seule certitude, donc : cette fois-ci elle est partie pour beaucoup plus longtemps que d’habitude ?
    — Oui, c’est ça !
    — As-tu vu les corps des deux noyées qui ont été trouvés par des moines ?
    — Non. On ne m’a rien demandé et ça ne m’intéresse pas.
    Timothée demeura un moment silencieux. Était-ce le lieu lui-même, cette demeure massive, sombre, plantée non loin du marais aux eaux glauques, sous un ciel menaçant, était-ce l’impression visqueuse qui se dégageait de ce couple, était-ce l’effet de leur accueil qui semblait dissimuler quelque mystère ? Le Grec, qui avait ressenti de l’angoisse, reprit la route avec satisfaction après avoir indiqué qu’il se rendait au manse Paquette et avoir obtenu un guide pour l’y conduire.
    Par un chemin tortueux ils arrivèrent en vue d’un groupe de chaumières adossées à un bois. Elles étaient situées près du marais ; à un embarcadère étaient amarrées deux barques à fond plat. Un potager et un verger flanquaient les granges et resserres. Des enfants jouaient en courant et criant auprès d’un abri sous le toit duquel deux femmes étaient occupées à modeler de la glaise. Les écuelles, pots, gobelets et récipients ainsi façonnés séchaient sur des étagères. Non loin avaient été creusés des fours de cuisson. Les femmes cessèrent un instant leur travail pour jeter des regards sur les arrivants.
    Un homme, entre vingt et trente ans, les attendait devant la porte de ce qui semblait être la demeure principale, de vastes dimensions. Il échangea quelques mots avec le guide qui s’était avancé et qui, immédiatement après, prit le chemin du retour. Puis il s’inclina profondément et invita Timothée et son garde à entrer chez lui. Trois autres femmes se trouvaient dans la pièce ; l’une était occupée à enfiler des champignons sur des baguettes, sans doute pour les faire sécher, la deuxième préparait la collation du soir à base de pois chiches, la troisième donnait le sein à un nourrisson tandis qu’un bambin pendu à sa tunique pleurnichait doucement.
    Celui qui avait accueilli l’assistant du missus lui adressa, avec un air de grand

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