Le spectre de la nouvelle lune
commères, par ici, ont la langue bien pendue, surtout pour dire du mal de son voisin. Alors tu penses, sur la Paquette !
— Mais encore ?
— Qu’on ne savait jamais où elle allait, qu’elle rencontrait des gens bien suspects… Et ses absences… qu’est-ce qu’elle faisait, hein ?… Et puis… n’aurait-elle pas croisé le chemin d’une mauvaise fade qui… Tu vois…
— Et toi, qu’en penses-tu ?
— Moi ? Rien, mais alors là, rien ! s’écria l’interlocuteur de Timothée. Je ne parle pas sans savoir, moi ! Je laisse cela aux mauvaises langues. Qui sait s’ils n’auront pas à s’en repentir, plus tard.
L’homme ajouta à voix basse :
— Il n’y a qu’à voir ce qui est arrivé à Godfrid et à son fils.
Le Grec secoua la tête, intrigué.
— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda-t-il.
— Rien, rien, je n’ai rien dit ! répondit l’aubergiste précipitamment.
— Je crois que tu en as trop dit, ou pas assez… Mais laissons cela. Venons à ces deux noyées du marais de Bignotoi. Est-il vrai que les corps étaient dans un tel état qu’on ne put reconnaître de qui il s’agissait, sauf que c’étaient deux femmes ?
— Des choses comme ça portent malheur. Tu penses qu’on ne s’est pas bousculé pour aller y voir ! Un ou deux seulement, dont un charbonnier qui passe pour un peu… D’après lui, impossible en effet de dire qui… l’eau des marais, la chaleur de l’été et puis les bêtes, les charognards de toute espèce… pouah !
— Pour toi, l’une de ces malheureuses noyées pouvait-elle être Paquette ?
— Je n’en sais rien, seigneur. Mais, sinon, où est-elle passée et qu’est-elle devenue ?
Le Grec paya largement des galettes rancies et un vin aigrelet.
Sur le chemin qui le ramenait à Longoret, l’assistant d’Erwin décida de faire un détour par le marais de Blizon près duquel Paquette avait été aperçue en dernier lieu. Toujours accompagné par le garde et par Aubin, il parvint au bout d’une heure et demie de chevauchée, par des sentes qui côtoyaient le marécage, jusqu’à un cul-de-sac qui donnait sur un embarcadère. Mais de bateau point, à proximité ni hameau ni résidence. En somme, cette jetée semblait ne rien desservir et ne servir à rien. Elle était pourtant en bon état et l’usure des taquets d’amarrage montrait qu’ils avaient été utilisés récemment.
Le Grec regarda longuement les eaux mystérieuses et perfides, puis les trois hommes se dirigèrent vers Mézières qu’ils atteignirent au crépuscule. Une heure après, ils étaient à Longoret où Aubin passerait la nuit avant de regagner le manse Paquette.
Le lendemain, jour de l’équinoxe, Timothée se rendit à Mézières pour enquêter sur une autre disparition : celle d’Agnès. Instruit par l’expérience, il demanda à l’un des moines de l’abbaye Saint-Pierre qui parlait le dialecte berrichon et le francique de l’accompagner.
La demeure d’Agnès était située au cœur du bourg, à deux pas de la place du marché qui prolongeait le parvis de l’église. Au rez-de-chaussée se trouvait une boutique sur les ouvertures de laquelle étaient apposés des panneaux en bois et dont la porte était fermée. Dans la forge qui jouxtait la maison travaillaient un homme d’un certain âge et deux jeunes compagnons.
Timothée qui était attendu par l’archiprêtre Nodon se contenta de jeter un coup d’œil sur cet ensemble et se dirigea vers le presbytère qui était situé derrière l’église. Nodon l’y accueillit en compagnie d’un assistant et d’un serviteur. Sur la table était disposé un en-cas.
Le Grec prit son temps. Après qu’il eut échangé avec l’archiprêtre des compliments convenus ainsi que des généralités moroses sur la dureté des temps et qu’ils eurent déploré le passé, il en vint à la disparition d’Agnès. Nodon hocha la tête et écarta lentement les bras avec un air d’onctueuse compassion.
— Quel drame ! dit-il d’une voix douce. Depuis douze semaines aucune nouvelle de cette femme ! Où est-elle allée ? Personne ne paraît en avoir la moindre idée. Pourquoi, grands dieux ? Question également sans réponse !
— Pourtant son mari – Thomas, n’est-ce pas –, que j’ai aperçu dans sa forge en passant, doit bien avoir quelques idées à ce sujet !
Nodon révéla en détachant les syllabes :
— L’homme que tu as vu n’est pas Thomas, mais Lucien, le charron !
— Que me dis-tu
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