Le spectre de la nouvelle lune

crains, dit le missus.
    Pour relancer l’enquête à partir, notamment, des révélations du frère Antoine, Erwin convoqua à nouveau, pour une réunion devant se tenir aux premières heures de la matinée, afin de leur communiquer ses instructions, tous ceux qui avaient déjà pris part aux recherches et ceux qui devaient s’y joindre, c’est-à-dire, aux côtés de ses assistants, du garde Sauvat et de lui-même, le vicomte Farald et son adjoint Raynal, le viguier, l’archiprêtre Nodon et Argier son vicaire, l’abbé Ferréol, le père Valentin, supérieur du couvent de Méobecq, le maître forestier Estève et l’économe du monastère.
    Après avoir prononcé une prière pour demander l’assistance de l’Esprit-Saint, l’abbé saxon en vint immédiatement à la sinistre mésaventure qu’avait connue son assistant.
    — Gloire au Très-Haut ! commença-t-il. Grâce à Son secours et à des soins éclairés, prodigués à temps, ce collaborateur précieux a pu recouvrer ses forces et aussi éveiller en lui le souvenir des périls extrêmes dans lesquels il est tombé…
    Le Saxon rapporta alors l’essentiel des révélations qu’avait faites le frère Antoine, sans mentionner toutefois l’épisode final de la cérémonie orgiaque.
    — Il ne fait donc aucun doute, poursuivit Erwin, qu’il a été victime d’une machination, fort bien menée d’ailleurs par une bande puissante. Elle veut se donner pour instrument de la vengeance, au service des plus humbles : ce qui s’est passé sur le domaine du « button aux fades » en fournit la preuve. Cependant, et cela n’est pas l’aspect le moins scandaleux et coupable de ses activités, elle défie l’ordre divin et l’autorité du souverain en mettant sur pied des fêtes ignobles où se combinent sorcellerie, débauche et subversion ! Ajoutons que telle est sa force, telle est son influence, qu’elle oblige la population à observer le silence sur tous ses actes, soit par sympathie, soit par peur. Ce que je viens de mentionner ne nous a pas encore permis, certes, d’entreprendre des opérations qui mettraient cette bande hors d’état de nuire, conduiraient ses chefs et ses membres devant notre tribunal pour qu’ils soient jugés, ainsi que leurs complices ; mais nous approchons à grands pas de la solution, n’en doutez pas ! Cela dit…
    Le Saxon se caressa alors le front et la nuque d’un geste machinal avec un air préoccupé, manifestement intrigué.
    — Il vous souvient que déjà, bien que ne connaissant pas encore ce qu’avait vécu mon assistant, je m’étais étonné que vous n’ayez découvert aucun indice sur le comment et le pourquoi de son empoisonnement, sur le lieu où il l’avait subi, sur son transport jusqu’à la clairière où il a été retrouvé. A présent, ce n’est plus seulement de l’étonnement que je ressens, mais de la stupéfaction ! Une bacchanale, qu’elle ait lieu ou non au cœur du marécage, cela se voit, en tout cas cela s’entend. Cela ne va pas sans de nombreux participants et complices. Cela ne va pas non plus sans témoins. Alors je trouve stupéfiant que vous, oui vous qui avez mené, paraît-il, de minutieuses recherches, vous n’ayez pas même découvert le plus petit commencement de la moindre piste… Il y a là une carence sur laquelle je ne cesse de m’interroger…
    Le missus dominicus avait prononcé cette mise en cause sur un ton sévère.
    — J’entends, j’exige, dit-il en détachant ces mots, que les enquêtes commencent. J’ai bien dit : « commencent », car rien n’a été véritablement entrepris jusqu’à ce jour ! J’entends, j’exige qu’elles soient conduites avec la plus extrême rigueur et la plus extrême vigueur ! Je veux qu’on se saisisse de tous ceux qui peuvent avoir été les témoins de quelque incident révélateur ou qui, en fonction de leur situation ou de leur position, sont en possession de renseignements pouvant présenter de l’intérêt. Je veux qu’on obtienne d’eux ce qu’ils savent, même si, d’abord, ils sont tentés de le dissimuler. N’oubliez pas qu’entre autres forfaits et crimes, on s’en est pris à un membre d’une mission impériale ! Rien n’est plus grave ! Pour cheminer jusqu’à la vérité, il nous faut opposer à la peur qu’inspirent les bandits une détermination plus farouche encore que la leur. Alors on découvrira cent indices qui, de proche en proche, nous conduiront jusqu’aux chefs secrets de la