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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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tête, égorgeant la mère et la fille, outrageant la vierge avant qu’elle n’expire, pourchassant l’homme, l’adolescent et l’enfant jusqu’au cœur du marécage pour leur donner la mort ! N’en doute pas : voilà ce que nul ne pourrait empêcher si l’abbé Erwin, missus dominicus, subissait la moindre atteinte !
    Childebrand dégaina son épée et en plaça la pointe sur la poitrine du messager qui devint blanc comme un linceul.
    — J’exige, énonça lentement le comte, qu’il soit libéré sur-le-champ, conduit immédiatement ici sain et sauf, et que cesse à l’instant tout acte de rébellion.
    — Cependant… hasarda l’homme.
    Le missus l’interrompit d’un léger mouvement de son arme.
    — Tu as entendu ? lui jeta-t-il. Pas un mot de plus ! Va et fais ce que tu dois faire !
     
    Peu de temps après qu’Agnès l’eut quitté, Erwin vit entrer dans la pièce où il était détenu un homme vêtu d’une tunique rouge ornée de flammes noires, serrée à la taille par un ceinturon auquel pendait un glaive dans son fourreau, et coiffé d’une capuche couleur sang qui cachait son visage. Celui-ci s’avança à pas lents vers le prisonnier et demeura un instant en face de lui, immobile.
    — Es-tu celui qui se fait appeler Baron, le Baron ou encore l’Homme rouge ? demanda le Saxon.
    — Assurément ! répondit l’intrus d’une voix que son masque lui permettait de déguiser.
    — A quoi bon dissimuler tes traits ou altérer ta prononciation ? Je sais qui tu es.
    — Peut-être le crois-tu, mais je doute que tu le saches vraiment, repartit l’homme en latin. Non, par ma foi, tu ne le sais pas… D’ailleurs, que connais tu de ces pays, de ceux qui l’habitaient et y survivent aujourd’hui, toi, missionnaire saxon d’un souverain franc ? Que sais-tu, en particulier, des désastres qui les ont ravagés, ruinés, ensanglantés ?
    Erwin jeta sur celui qui se tenait devant lui le regard froid de ses yeux gris.
    — Tout ce qu’un missus dominicus au service de Paix et Justice doit savoir ! affirma-t-il.
    — Quelle assurance ! Mais as-tu appris quelles étaient sa prospérité et sa grandeur quand régnaient sur lui les princes d’Aquitaine, Eudes, puis Hunald le Grand, enfin le fils de celui-ci, Waïfre ?
    — Prospérité, grandeur, dis-tu ? Je sais, en tout cas, que ces ducs ont profité des guerres qu’ont dû soutenir jadis Pépin le Jeune, son fils Charles Martel, puis Pépin le Bref contre les envahisseurs et ennemis du royaume pour tenter de supplanter les Francs en ce Berry que ceux-ci tenaient depuis deux siècles, oui, depuis la victoire de Clovis sur les Goths hérétiques !
    — En vérité deux siècles de domination avide et cruelle sur une contrée mise en coupe réglée ! riposta l’homme en rouge. T’es-tu jamais posé cette question : pourquoi les gens de ce pays ont-ils accueilli avec enthousiasme et gratitude la tutelle des Aquitains ? Pourquoi, sinon parce qu’elle les délivrait de l’oppression et de l’asservissement ! Liberté et félicité de trop courte durée, hélas ! Oh ! comme il est amer de perdre en peu de temps un bonheur longuement espéré ! Et combien cruelle fut la fin de l’espérance ! Ces maires du palais et ce roi franc que tu as évoqués ont tout mis en œuvre pour rentrer en possession du Berry, allant jusqu’à abandonner cette terre à la rage et à la lubricité de leur soldatesque et, comme ils ne parvenaient pas à vaincre en combat loyal, usant de tous les artifices de la corruption et de la perfidie.
    L’homme masqué poussa un long soupir.
    — Oh, temps abominables ! reprit-il. Sais-tu comment Pépin le Bref a terminé son règne ( 21 ) ? En faisant assassiner, et par un traître, Waïfre, prince d’Aquitaine, en se faisant livrer sa mère, sa sœur et certains de ses enfants. La même année, Rémistan, fils du duc Eudes, qui s’était rallié à Waïfre fut capturé, traité sans pitié et pendu sur la place publique à Bourges même…
    L’interlocuteur d’Erwin parut un instant submergé par l’émotion puis reprit d’une voix sourde :
    — Pour autant, même après la mort de Waïfre, dont on commença à célébrer en tout le pays les vertus et les exploits, la lutte contre la domination sans cesse plus pesante des Francs ne s’arrêta pas. Elle fut conduite d’abord par l’un des fils du héros, Hunald II. Après que ce dernier eut été capturé par le roi Charles et assigné à résidence en Bourgogne avec

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