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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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cultes, pour qui ces orgies ? lança le Saxon.
    — Est-il interdit de célébrer l’eau, la terre et l’air, les plantes et les arbres, les esprits et les nymphes qui les habitent, les fades et génies et toute créature ?
    — On ne doit adorer que Dieu qui a créé toutes choses !
    — Qui te dit que nous ne l’adorons pas ?
    — En livrant vos corps à toutes les débauches ?
    — Sommes-nous les seuls à en retirer tout ce dont le Créateur l’a pourvu ?
    — Abomination !
    — Pourquoi, seigneur ? Parce qu’il s’agit de gens comme nous ? Cependant je n’ignore pas ce que l’on dit sur la façon dont se conduisent les Grands et notamment ceux de la cour, affirma Agnès. L’orgie serait-elle réservée aux puissants ?
    Erwin regarda, surpris, cette femme en qui il n’avait vu d’abord qu’une bacchante plutôt sotte, voire une hétaïre de bas étage et qui se défendait, en francique, non sans habileté ni courage.
    — Le vice et la luxure seront encore moins pardonnés aux puissants qu’aux humbles, reprit-il. Cependant, si j’en crois ce que m’a relaté l’un de mes assistants, le frère Antoine, en ces fêtes scandaleuses dans lesquelles tu jouais un rôle éminent, triste rôle en vérité, il ne s’agissait pas seulement de lubricité, mais aussi de tout autre chose, comme cette cérémonie représentant la mort dans les supplices d’un simulacre, celui d’un missus dominicus, en l’occurrence moi-même !
    — Ton assistant avait absorbé des substances maléfiques qui ont troublé ses sens et dérangé son esprit.
    — … et qui ont aussi failli le faire périr… Mais, dis-moi, comment sais-tu cela ?
    — Je le sais parce que je m’y étais opposée. L’empoisonnement de ton aide était un forfait inepte, la mise à mort de ton simulacre un défi dangereux qui, en outre, n’avait rien à voir avec nos célébrations consacrées.
    — Tu ne nies donc pas ta participation à ces cultes détestables conduits par l’homme en rouge, ni ta danse lubrique ni les bacchanales qu’elle a suscitées ?
    — Comment le pourrais-je ? dit-elle sans se troubler.
    L’abbé saxon lui jeta un regard sévère.
    — Et tu oses avouer cela sans périr de honte, toi femme adultère, débauchée sans scrupules et qui – c’est bien le pire – a entraîné les autres dans la déchéance et le péché, toi qui foules aux pieds les commandements divins et t’attaques à l’ordre établi par le plus juste des princes ?
    Elle baissa la tête, comme accablée, puis la releva lentement.
    — La foi, l’ordre… dit-elle à mi-voix. Oh ! seigneur… Sais-tu ce que, dès mon enfance, j’en ai connu ? Ma mère, femme de bonne noblesse, a été violée par le chef d’une cohorte de Francs, lors de la guerre entre ceux-ci et les Aquitains. Peu de temps après elle a été égorgée par ces soudards après que notre demeure eut été pillée et brûlée. Deux de mes tantes ont été, elles, violées si souvent et si brutalement par des moines venus du Nord qu’elles en sont mortes. Notre domaine a été saisi et donné à un envahisseur, une brute ignare. Mon frère et moi, nous avons dû fuir le Limousin, où presque toute notre famille a péri – les rares survivants ayant été réduits en servitude –, pour la Touraine…
    Elle regarda l’envoyé du souverain avec un visage pathétique.
    — Se pourrait-il que de telles horreurs recommencent ici aujourd’hui ? murmura-t-elle.
    L’abbé saxon lui laissa le temps de recouvrer un peu de calme avant de rappeler :
    — Mais ce n’est pas moi, Agnès, qui a créé la situation abominable dans laquelle, en effet, le pire peut advenir.
    Il arrêta une esquisse de protestation et, ressentant encore la brûlure du geste dramatique accompli par Rafanel, il enchaîna immédiatement :
    — Pour autant je ne m’en désintéresse pas, non seulement parce qu’il y va de ma vie, mais surtout parce que bien d’autres existences que la mienne sont en jeu, parce que bien des malheurs pourraient s’abattre sur la Brenne, et je ne le souhaite pas.
    — Sais-tu pourquoi, toi qu’on dit miséricordieux, pourquoi j’ai osé, en cette aube sinistre, venir ici et m’adresser à toi ? Oh ! ce n’est ni au nom de ceux qui commandent les « compagnons de la nouvelle lune », ni au nom de ces combattants-là, mais au nom des femmes qui les accompagnent, au nom des enfants qu’elles ont déjà engendrés et de ceux qu’elles portent. Ces femmes ont peut-être

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