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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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commis ce que tu considères comme de graves péchés, mais aucun crime ! Quant aux enfants…
    — Dois-je le répéter ? jeta l’abbé saxon. Ressusciter les bacchanales et saturnales de la Rome païenne, mettre en œuvre tous les procédés et artifices de la sorcellerie, défier l’ordre divin et la justice de l’empereur, qu’est-ce donc sinon un crime !
    — Selon quelles lois, seigneur ? Chacun n’a-t-il pas le droit de vivre selon ses coutumes ?
    — Écoute-moi bien, Agnès, rétorqua Erwin avec gravité, et apprends que les missi dominici ont reçu du souverain tout pouvoir pour réprimer, et de la façon la plus ferme, la plus cruelle au besoin, les forfaits que vous commettez. Le comte Childebrand qui ne manquera pas d’intervenir, bientôt peut-être, à la tête de guerriers redoutables, saura mettre fin, avec une poigne de fer, aux désordres de toute nature qui ont troublé ce pays. Le seul recours pour ces femmes et ces enfants dont tu as plaidé la cause est notre clémence !
    — Votre clémence ou ta clémence, seigneur ?
    — J’ai parlé de recours et non fait des promesses. D’ailleurs, que vaudraient-elles venant de celui dont le destin est aussi incertain ?
    Agnès se pencha et prit sa tête entre ses mains, comme accablée. Puis elle se redressa lentement et dit avec un air sombre :
    — Où sont donc les temps merveilleux ?… Finis, bien finis !… Et la mort rôde…
    Alors elle se leva et fit, devant Erwin stupéfait, quelques pas d’une danse très lente, comme un rite funèbre venu du fond des âges.
     
    La première heure du jour apporta la confirmation des prévisions que les assistants des missi avaient formulées lors du conseil présidé par Childebrand. A deux reprises des petits groupes tentèrent de franchir le dispositif d’encerclement mis en place par Hermant et furent contraints, pris à partie par des archers, de rebrousser chemin. D’autre part, ainsi que Timothée l’avait envisagé, trois hommes se présentèrent, portant une sorte d’enseigne, à quelque distance d’un poste, et l’un d’eux, faisant office de héraut, cria qu’il avait un message de la plus haute importance à communiquer au missionnaire du souverain, et à lui seul, « de la part du Baron ». Il demandait à être conduit auprès du comte Childebrand. Le chef de poste se rendit au quartier général qui se trouvait non loin de là. Le missus dominicus, après une brève délibération avec ses conseillers, fit établir par Dodon un sauf-conduit pour cet émissaire.
    Celui-ci, après qu’on lui eut bandé les yeux et attaché les poignets, fut mené jusqu’à une clairière où il fut rejoint par Childebrand assisté de son état-major. On lui ôta son bandeau et on lui délia les mains. L’homme sortit un parchemin de sa manche, le déroula et en donna lecture d’une voix tremblante. Le message, dont le ton assuré ne parvenait pas à masquer le contenu angoissé, demandait pour tous les « compagnons de la nouvelle lune » un libre passage et l’impunité. Faute que cette exigence soit satisfaite, « la plus déplorable des décisions devrait être prise et exécutée ». La menace touchant l’existence même d’Erwin n’aurait pu être plus explicite.
    Childebrand, avant de répondre, attendit un moment pour que s’apaise un peu la colère qui bouillonnait en lui et c’est d’un ton froid, tranchant comme l’acier, plus effrayant qu’un emportement furieux, qu’il s’adressa au messager :
    — Ainsi, dit-il, non content d’avoir perpétré un crime en s’emparant d’un missionnaire de l’empereur Charles le Grand, voici que maintenant ce chef de bande ose formuler la plus abjecte des menaces, projetant une abomination que mes lèvres se refusent même à prononcer. Oh, en vérité, apprends ceci et rapporte-le sans en rien omettre à celui qui l’a dictée : si, par extrême malheur, elle était mise à exécution, alors les fléaux les plus cruels s’abattraient sur la Brenne tout entière ! Car qui pourrait apaiser le courroux de l’empereur ? Qui pourrait empêcher la rage de nos combattants, ayant reçu cent renforts, de faire de ce pays une terre de ruines, de sang et de deuil ? J’aperçois déjà s’élever en tous lieux les flammes et les fumées noirâtres des incendies, les cohortes de vengeurs, dont nulle discipline ne pourrait retenir la fureur, ôter toute vie, transformant les troupeaux en charniers, courbant le vieillard pour lui trancher la

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