Le talisman Cathare
gigantesque, un colosse à la barbe noire et à la voix de stentor, tout auréolé de la gloire d’une croisade en Terre sainte. Ce bon chef de guerre et noble combattant est un meneur d’hommes à l’ambition démesurée. Il ne reculera devant rien pour assouvir sa soif de conquêtes et pour prendre rang, lui le second, parmi les plus puissants du royaume. »
Des nouvelles identiques parvenaient au même moment à Hélie Vignon. La salle capitulaire de l’abbaye bruissait des conversations particulières, au mépris de la règle. Tous voulaient connaître l’avancement du conflit, savoir laquelle de la paix ou de la guerre allait l’emporter.
« Ce Simon de Montfort est-il bon chrétien ?
— Assurément, messire abbé. Ce noble chevalier du Christ a montré son honnêteté en refusant de servir des intérêts particuliers lors de l’expédition sur Jérusalem. Ni les adversaires de Venise, ni les chrétiens de Constantinople n’eurent à se plaindre de lui. Il n’a combattu que les hérétiques sarrasins.
— Quel est son objectif, à présent ?
— Toulouse. Il doit destituer le comte Raymond VI, l’ennemi de la vraie foi, et s’emparer de son comté. Il peut librement disposer, pour lui et ses vassaux, des biens dont il aura fait la conquête.
— Ne risque-t-il pas de détruire nos villes, de piller nos abbayes ? Nous autres, gens d’Église, avons tout à craindre des soudards.
— Arnaud Amaury, notre grand abbé, supervise son action. Il sait qu’il ne doit pas seulement vaincre les Toulousains, mais surtout arracher sans pitié le roncier mal croyant des terres chrétiennes et rétablir l’exemplarité et l’autorité d’une Église catholique mise à mal par un clergé décadent. Des murs de Montpellier aux portes de Bordeaux, tout rebelle sera abattu. »
Le déclenchement de la croisade n’avait pas été sans conséquence pour le Périgord. Parent éloigné des Cazenac, l’évêque de Périgueux, Raymond de Castelnaud, avait été destitué sans ménagement de son ministère. Le pape Innocent III le jugeait trop tiède dans ses convictions, voire même proche du catharisme. N’avait-il pas laissé gagner à l’hérésie les abbayes cisterciennes de Cadouin et Boschaud ? Un crime si abominable qu’on ne pouvait même pas en souiller un parchemin. Sa disgrâcefut muette. Son successeur, Raoul de Lastours, était un homme à la forte personnalité et à la foi inébranlable. Il entreprit la reconquête pastorale du comté du Périgord en reprenant à la lettre les mots du chef de la chrétienté. « La ligue des hérétiques doit être réduite par une instruction solide. L’attrait du péché séduit lorsque la langue du pasteur n’en détruit pas le charme. »
Le nord du comté du Périgord restait fidèle au catholicisme ; l’hérésie résidait surtout en Sarladais, le long du fleuve Dordogne. Hélie, l’abbé de Sarlat, menaça d’excommunication et des flammes de l’enfer tous ceux qui quittaient le giron de l’Église. Des légats furent mandés où la foi n’était plus. Les clercs, partout prêchant, ranimaient les dogmes justes aux yeux de Rome. Mais les curés ignares, aux discours bancals, envoyés par Raymond de Lastours, ne firent pas le poids. La foi cathare avait trop d’attraits lorsqu’elle était défendue par le brillant Bernard, la belle Alix ou le savant Hugues. Leurs arguments avaient l’ardeur de la jeunesse et la force d’une solide culture biblique et littéraire.
7
Loin dans le Sud, Simon de Montfort avait entrepris d’encercler Toulouse par un large mouvement tournant qui incluait toute la partie occidentale de la terre occitane, laissant derrière lui un sillon de sang et de flammes. Faisant montre d’une vitalité guerrière sans pareille, il quitta sa base de Carcassonne et frappa alternativement vers l’orient et l’occident. Castres fût brûlée, puis l’imprenable château de Foix, fief du comte Raymond Roger, se trouva assiégé, le champion du Christ ayant juré de faire fondre comme graisse le rocher pour y griller le maître. Aucun échec ne le faisait douter : il savait que la guerre serait longue et que maint charnier nourrirait les corbeaux avant qu’elle ne s’achève. De volte-face en demi-tour, il ravagea la citadelle de Minerve, puis fit sauter le puissant verrou de Termes.
Niché entre Bordeaux et Clermont, le Périgord faisait encore figure de havre paisible. Une clairière de laforêt de
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