Le talisman Cathare
pleurs et de gémissements, plongea la demeure dans l’angoisse.
Courageusement, Guilhem avait poursuivi sa mission de troubadour itinérant, chantant les mérites de dame Alix dans les châteaux qui voulaient bien encore ouvrir leurs portes aux errants. Puivert, où se réunissaient les plus célèbres cours d’amour, était désormais inaccessible, aux mains des Français. Cabaret, dans la Montagne Noire, était devenu le symbole de la résistance cathare et de la culture toulousaine. La guerre y avait piégé Guilhem.
« Montfort, que le diable l’emporte, a conquis Bram, dans la plaine garonnaise, et y a fait cent prisonniers. Pour convaincre les seigneurs de Cabaret de faire leur soumission, il fit crever les yeux et couper le nez des détenus, et les envoya sous les murailles de Cabaret, sous la conduite de l’un d’entre eux à qui on avait conservé un oeil. Jamais je ne vis spectacle plus épouvantable que celui de ces malheureux à moitié morts. »
Le troubadour éclata en sanglots, ne pouvant pousser plus avant un récit dont chaque mot lui était douleur.
« Cabaret est-il tombé ? rugit Bernard, le ton sec et les yeux froids.
— Non pas, messire. Pierre Roger de Cabaret a fait, à son tour, mutiler des prisonniers français, et il continue de ravager l’arrière-garde des croisés. Ah, messire, croyez-moi : la guerre n’est belle qu’en chanson.
— Cela est fort bien », conclut Bernard, sans un mot de compassion pour son musicien.
Son regard semblait déjà tourné vers la guerre.
L’exemple de Cabaret avait encouragé le comte du Périgord à lancer l’offensive sur le Sarladais qui ne reconnaissait plus son autorité, lui préférant celle de Raymond de Toulouse.
« Cette conquête doit être spirituelle autant que militaire, le prévint Raoul de Lastours. Il ne sert à rien de posséder la terre, si l’on ne règne pas aussi sur les âmes. »
Par le jeu de confesseurs habiles, Hélie Vignon avait eu connaissance du lieu de réunion des cathares sarladais. Les soldats du comte encerclèrent la clairière où une vingtaine d’hommes et de femmes attendaient l’arrivéed’Hugues de Vassal. Quand ils virent les sergents fondre sur eux, l’arme au poing, ils ne tentèrent même pas de fuir.
« Maudits hérétiques, nous allons vous envoyer en enfer, hurla celui qui commandait la troupe.
— Nous y sommes déjà », répliqua dame Rolande avant qu’il ne lui passe l’épée au travers du corps.
Ce fut le signal du massacre. Les soldats exécutèrent un à un les cathares qui ne purent pas même esquisser un geste de défense, avant d’incendier le hameau de Campagnac et la forêt de chênes. Ce message de violence s’adressait directement au seigneur de Cazenac.
Bernard et Alix chevauchaient en silence, l’âme emplie de tristesse et d’une amère colère. Ils avaient passé la Dordogne au gué de Cénac et grimpaient à présent la rude colline qui conduisait sur les hauteurs de Cazenac.
« Maintenant, nous sommes en guerre, en guerre », ne cessait de murmurer le chevalier.
Une rude discussion les avait opposés à Hugues de Vassal.
« Les croisés sèment partout la ruine, la détresse et le feu. Notre pays se meurt. Ils sont pires que barbares ; il nous faut les chasser ou bien périr. L’heure n’est plus aux politesses, ni à la courtoisie. Ils veulent nous imposer leur religion ; deux fois différentes ne peuvent gouverner un coeur. Nous devons convertir de force la population du Périgord au catharisme.
— Notre religion ne recrute que des volontaires. On ne force pas les âmes, répliqua le Parfait. Nous devons accepter les débats contradictoires et laisser émerger lavérité. Ceux qui sont dans l’erreur doivent trouver leur voie vers la lumière.
— L’heure est passée et tout est dit. Ceux qui ne partagent pas nos convictions nous trahissent. Je ne puis laisser massacrer nos amis, comme à Campagnac. La vieille terre d’Oc tremble sur ses bases ; je dois m’imposer par la force, sinon tout est perdu. »
Les deux époux arrivèrent au sommet de la falaise de Cazenac. Le vent y soufflait fort, comme à l’accoutumée. Bernard déposa son talisman d’argent sur le rocher en forme de table, là où, vingt ans plus tôt, son père lui avait révélé le secret de leur famille. Les gravures sur la surface du métal lui semblaient toujours aussi énigmatiques. Bernard y cherchait une réponse sur la conduite à mener. « Parle-moi,
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