Le talisman Cathare
Campagnac réunissait les cathares sarladais. Loin du chahut des hommes, la nature semblait les rapprocher de Dieu. Hugues de Vassal venait de leur démontrer brillamment, à l’aide de contes et d’allégories, la supériorité de la foi des Bons Chrétiens sur les superstitions catholiques.
« Pourquoi l’Église a-t-elle tant de haine pour nous, dame Alix ? Nous ne faisons rien qui soit contraire aux Évangiles. »
La bourgeoise qui parlait ainsi prenait de grands risques à venir courir les bois. Hélie Vignon pouvait la faire condamner au bûcher. Mais les hauts chênes semblaient une protection vivante. Comme beaucoup de cathares, elle aimait prier dans la nature, où n’intervenait pas la malice de l’homme.
« Nous leur faisons par trop de concurrence, répondit la châtelaine. Si notre parole était libre, si nous pouvions prêcher sans contraintes, plus personne ne se rendrait au sermon de curés menteurs, avares, prévaricateurs, lubriques et simoniaques. Nous, nous apportons la vérité des Évangiles, et nous la mettons en pratique au quotidien. Nous ne livrons pas de vagues promesses, mais l’exemple de la vertu. Les curés sont des pasteurs qui dévorent leurs brebis au lieu de les guider ; ils les livrent au Mal plutôt que de les garder.
— Notre royaume n’est pas de ce monde, intervint Hugues de Vassal, citant Jésus à travers l’apôtre Jean. Voilà pourquoi nous nous tenons éloignés des richesses terrestres, des biens matériels, des serments qui viennent de la langue et non du coeur, du pouvoir et de la violence des hommes. Nous ne pactisons jamais avec le monde ;voilà pourquoi le monde nous hait. Quand je parle du monde, je désigne ceux qui le dirigent et y ont des intérêts puissants. Car le peuple, lui, nous suit volontiers. Avec nous, il a tout à gagner : une cité plus juste et un avenir plus radieux, quand l’Église catholique ne promet que châtiments et chimères. »
Alix buvait les paroles du Parfait. Elle était devenue, plus encore que son mari, une ardente prosélyte de la foi cathare. Cette douce jeune femme, éprise de la fine amor , avait pris goût aux joutes oratoires et philosophiques. Avant la croisade, elle pouvait encore organiser des débats contradictoires entre Hugues de Vassal et ses amis catholiques. La guerre ne permettait plus pareilles fantaisies. Mais, au nom de l’égalité entre hommes et femmes, elle imposait sa voix avec autorité, prêchant devant les Périgourdines comme si elle avait été reçue Parfaite.
Elle n’avait point, par ailleurs, renoncé aux plaisirs de la musique et du beau langage. Tout juste consentait-elle à se vêtir plus modestement pour assister aux prêches, mais toujours avec élégance. Sa haute taille et la noblesse de son port la désignaient d’emblée comme la maîtresse des lieux. Dans son double rôle de femme de lettres et de théologienne, d’épouse amoureuse et de croyante respectueuse de ses devoirs religieux, elle semblait au comble du bonheur. Seule la menace de la croisade venait assombrir l’horizon de sa vie.
« Crois-tu que nous aurons la guerre ? demandait-elle en se blottissant contre Bernard.
— Montfort veut Toulouse et nous sommes bien loin.
— L’ogre veut tout dévorer et nous serons sa proie.
— Alors aimons-nous une fois encore, faisons chanter nos corps à l’unisson. Que ce jour soit celui de la lumière, si demain les ténèbres doivent s’abattre sur nous. »
Elle frémissait d’une peur encore éloignée, juste une idée abstraite qui ne venait pas altérer son bien-être. Bernard savait qu’il ne pourrait se dérober encore longtemps à ses devoirs de chevalier, dépositaire du grand secret des cathares. Il devrait aller à la guerre, ou la guerre viendrait à lui. Pour Alix, le Périgord était encore le pays des merveilles, protégé des malheurs extérieurs par une bulle lumineuse. La réalité concrète du conflit religieux fit éclater ce beau rêve et les précipita tous deux dans le monde maudit de la matière.
« Messire Bernard, dame Alix, secourez-moi ! Je suis au bord de la mort. »
Guilhem le troubadour venait de regagner Castelnaud les habits poussiéreux et déchirés, la voix cassée. Il avait chevauché d’une traite depuis Cabaret, à trois lieues au nord de Carcassonne, sans repos, ni boire ni manger. Ses traits fins étaient défigurés par la peur et la fatigue ; ses yeux reflétaient l’horreur. Son récit, entrecoupé de
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