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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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ployée sous un rouleau de tissu subrepticement abandonné contre un chambranle. L’ombre obliqua aussitôt vers un escalier de service et se cloîtra à l’intérieur d’un placard à balais. L’attente commença.
    Le concierge s’affairait à éteindre les poêles d’un atelier à l’autre. Des croquenots ébranlèrent le plancher, des voix jeunes claironnèrent :
    — Alors, père Michon, on a perdu son chat !
    — Faites gaffe, père Michon, vaut mieux s’marier que d’brûler !
    Les ouvrières s’entendaient comme larrons en foire pour dauber le concierge, un veuf égrillard aux mains baladeuses. Le gosier imbibé de fil en quatre 45 , le père Michon se plaignit d’être traité pire qu’un paillasson, non seulement par ces pisseuses mal dégrossies, mais également par le général en chef. Il brailla qu’en trente ans de carrière il n’avait jamais subi pareille engeance.
    Tapie dans l’espace étriqué, l’ombre retenait son souffle, à l’écoute des bruits confus. Ce claquement signalait le départ du concierge qui rejoignait sa loge. Cette mélopée assourdie accompagnait le balayage du magasin de cristaux mitoyen, une femme de ménage s’en chargeait chaque soir, les ateliers de couture quant à eux ne seraient nettoyés que le lendemain aux aurores.
    L’air se raréfiait. Éviter de s’ankyloser devenait impératif. Quelques pas séparaient le placard du palier de l’entresol. De là, on pouvait épier le rez-de-chaussée et la dernière volée de marches. Se précipiter dès maintenant était peut-être dangereux, les observations des jours précédents avaient révélé que le général en chef aimait s’attarder après le retrait de ses troupes, et que souvent il détenait une prisonnière. Un grincement confirma bientôt cette assertion. Quelqu’un descendait, marquait une pause, repartait en émettant des gargouillis qu’on eût assimilés tantôt à des rires, tantôt à des pleurs.
    Vite, s’accroupir à l’abri d’un ficus en pot.
    Dans la grisaille, une jeune fille apparut. Accrochée à la rampe, elle fut secouée d’un hoquet déchirant. Elle se reprit, expira longuement avec une plainte et clopina jusqu’au sol carrelé du vestibule. La lumière d’un réverbère trouait un vasistas surmontant la porte cochère et scintillait sur une glace en pied apposée au mur. L’image d’une cousette d’à peine quinze ans s’y réfléchit, les cheveux emmêlés, les joues égratignées, les bas bouchonnés sur les chevilles. La découverte de son reflet pitoyable provoqua un nouvel accès de désespoir chez la gamine. Elle laissa choir un tas de vêtements roulés en boule, les sanglots s’étranglaient dans sa gorge. Après avoir défroissé sa jupe, elle resserra sur son maigre buste les lambeaux de cotonnade lui tenant lieu de lingerie, boutonna son corsage et endossa sa pèlerine. De l’avant-bras, elle essuya ses larmes, planta son chapeau à l’envers en reniflant et fit volte-face. Elle n’eut qu’à tourner le loquet, le concierge n’avait pas cadenassé. Bon à savoir.
    L’ombre s’assura que la poche de cuir et son accessoire étaient à leur place, bien que leur poids suffit à prouver leur présence, puis elle se mit en branle, degré par degré. Encore un mètre. On s’arrête. On avance prudemment, en s’efforçant d’oublier la gamine.
    L’ombre atteignit le premier palier et, prompte comme un chat, acheva l’ascension en songeant qu’un fil invisible la hissait et facilitait l’escalade. Bifurquer à droite, longer les salons réservés à la présentation des modèles, puis le cabinet de toilette. Parfait, parfait. Il avait suffi de mettre la main au portefeuille et la coupeuse, renvoyée le mois dernier, avait fourni un plan exact des lieux : l’enfilade aboutissait effectivement sur un boudoir, où la première conduisait les clientes fortunées invitées à partager un curaçao avec le général en chef. Inutile de l’examiner, son agencement avait été décrit avec un grand luxe de détails par la fille qui avait relaté comment, conviée un soir à boire un verre de liqueur, elle avait lutté bec et ongles alors qu’elle était allongée de force sur le divan de satin liberty. Une console accueillait une chocolatière de porcelaine et une assiette à filets dorés emplie de sucreries. Deux fauteuils crapauds disposés devant le calorifère, une jardinière ornée de fleurs artificielles, un paravent chinois et une

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