Le talisman de la Villette
danseuse de terre cuite gambillant sur un piédestal complétaient la décoration, nimbée de la lueur orange d’une lampe de Rochester. Ft lui, il était là, vautré sur le divan, une araignée au centre de sa toile, repu de sa sauvagerie, épuisé aussi parce qu’il n’était plus tout jeune et que violer une enfant réclamait une énorme dépense d’énergie.
Viser, lancer d’un seul trait était cette fois envisageable. Le général en chef ne souffrirait pas, il ne comprendrait même pas, et quand il serait de l’autre côté, il estimerait certainement qu’en comparaison de ses actes sa fin avait été douce. Ah, qu’elle était agréable, cette ultime caresse à l’objet pesant par lequel l’ennemi allait accomplir ce voyage sans retour !
Richard Gaétan s’étira et bâilla, accablé de fatigue. Ce genre de sport ne convenait plus à son âge, sans compter que son cœur faiblissait. Flûte, il y avait des taches partout, il allait écrire un mot afin qu’on portât la housse liberty au blanchissage avant l’ouverture des ateliers. Tant pis, on se contenterait deux ou trois jours de ce jeté de lit de velours jonquille qui avait déjà servi à plusieurs reprises. Solange, la première, afficherait son expression railleuse, une gratification la rendrait amnésique. Il convoquerait discrètement la cousette, lui signifierait son congé et achèterait son silence d’une enveloppe garnie. Que ce cérémonial était fastidieux pour quelques malheureuses secondes de plaisir !
Il fourra les pans de sa chemise dans son pantalon, boucla sa ceinture et se repeigna face à une psyché couronnée d’angelots de stuc. Il suspendit son geste. Là-bas, dans la pénombre, il avait cru distinguer un visage. Ridicule, jamais cette bécasse n’aurait eu le culot de revenir. Il se détourna et piocha un calisson parmi les douceurs. Se laver, se changer chez lui, dîner sur le Boulevard, et dormir, dormir… Le peigne s’enfonça dans ses cheveux.
L’ombre ajusta son tir. Il y eut un chuintement bref. Frappé à la nuque, Richard Gaétan s’écroula lourdement, la bouche encore pleine.
L’ombre se pencha au-dessus du corps inerte, guettant un mouvement. Rien. Voilà ce qu’il était permis de nommer un progrès notable dans le maniement de son arme, et qui légitimait le proverbe : C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Où avait-elle roulé ? Ici, près du peigne.
La boule de plomb fut ramassée, la mèche de la lampe fut mouchée. Il n’y avait plus qu’à tirer sa révérence et à se concentrer sur la suite du programme.
CHAPITRE X
Mercredi 21 février
Solange Valier, la première du Couturier des élégantes, était soulagée. Grâce aux ultimes retouches, la toilette de visite destinée à Mme de Cambrésis était non seulement achevée mais embellie. Elle étoffa sur le mannequin d’osier la jupe noire fendue de chaque côté par deux pointes de velours vert Empire. Le corsage, froncé autour d’une gorgerette arrondie, aux manches très bouffantes serrant les poignets, était une merveille. Il suffirait d’ajouter ce chou de satin perlé et l’ensemble friserait la perfection.
Les ouvrières s’asseyaient en babillant. Solange Valier envoya l’une d’elles s’assurer que le boudoir, interdit aux femmes de ménage, était en état de recevoir le patron et sa cliente lorsque celle-ci aurait accordé son satisfecit au modèle.
— Et n’omettez pas les calissons et les amandines, Marguerite, vous savez qu’il en raffole. Les boîtes sont rangées sous la jardinière.
Ravie de cette incursion au sein du sanctuaire réservé à l’élite du Tout-Paris, une arpette frisottée repoussa sa chaise illico.
— J’ai besoin d’une veilleuse, on n’y voit goutte !
— Toujours à lambiner ! Dépêchez-vous !
Marguerite ralentit dès qu’elle eut passé le seuil des combles. Elle se délectait de cet imprévu qui allait colorer sa journée d’un éclat magique. Elle n’était plus une esclave de l’aiguille, elle incarnait une héroïne de tragédie, homonyme de cette reine Margot dont sa mère lui avait lu les amours tumultueuses dans une édition illustrée d’Alexandre Dumas. Elle traversa le dépôt où les velours, les soies, les taffetas brillants, les tussors des Indes, les surahs attendaient que le grand patron les métamorphose en toilettes de réception ou de dîner. Elle descendit les quelques marches qui aboutissaient à l’escalier
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