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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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s’échappa derechef et roula sous un tête-à-tête. Sophie la poursuivit, comme un chat traquant une proie. Le sourire d’Hermance se mua en grimace, ses lèvres se figèrent sur un pli crispé tandis que son regard se durcissait.
     
    Djina avait dispensé ses élèves de leçons. Le prétexte à ce congé était l’utilité de sillonner le Louvre à la recherche d’un tableau qu’elles reproduiraient à l’ aquarelle.
    En dépit de son aversion pour les siestes, elle éprouva l’envie de s’allonger un moment. Elle posa près d’elle le billet que Kenji lui avait envoyé par l’entremise d’un coursier. Les paupières closes, elle crut l’entendre lui proposer à voix haute ce qu’il avait écrit :
    Vous serait-il possible de m’escorter dans un magasin entre deux et quatre heures ? Je sollicite vos conseils avisés pour l’acquisition de rideaux. Ensuite nous irions ensemble admirer les œuvres de votre fille…
    Le sommeil l’engloutit sans qu’elle en eût conscience. Elle parcourait une forêt dont les arbres sécrétaient de subtiles inflorescences. Alors qu’elle s’apprêtait à cueillir une fleur rouge, elle fut envahie d’une chaleur érotique. Elle déambulait au sein d’un enchevêtrement de voilages au-delà desquels se dessinait une silhouette qu’il lui fallait rejoindre. Mais elle avait beau se hâter, elle demeurait solitaire, nostalgique et cependant sous le charme d’une sensualité liée, elle en était persuadée, à l’ossature enneigée d’un pont-levis où elle n’osait se risquer car elle était nue. Elle se rencogna sous une poterne où s’amoncelaient des vêtements. Dès qu’elle les enfilait, ils disparaissaient, elle ne parvint à conserver qu’une camisole qui moulait à peine son buste.
    Elle s’évada du rêve, honteuse de découvrir que sa main droite s’était coulée sous ses jupons et progressait entre ses cuisses. Elle lutta contre son désir. Un coup d’œil au réveille-matin lui apprit qu’il était presque deux heures.
    Lorsque Kenji sonna, sanglé dans un habit anthracite sur lequel claquait une lavallière mauve, sa canne à pommeau de jade sur l’épaule, Djina jaillit de l’appartement et le précéda dans l’escalier, ignorant le bras qu’il lui offrait. Elle persista à rester hors de sa portée dans le fiacre les conduisant jusqu’au boulevard de Sébastopol, et n’adressa à son compagnon, qui s’efforçait d’entretenir la conversation, que des monosyllabes. Il ne s’en formalisa nullement, elle était venue, cela seul comptait.
    Avait-il opté pour À Pygmalion dans le but de lui suggérer que, pareil à beaucoup d’hommes, il prétendait la modeler à sa convenance ainsi que le célèbre sculpteur sa statue de Galatée ? Non, Kenji n’était pas si retors, il lui expliqua que ce vaste caravansérail coincé entre la rue de Rivoli, la rue des Lombards et la rue Saint-Denis l’avait fasciné quand Victor et lui s’étaient installés en France, et qu’il s’y était pourvu du blanc essentiel à leur emménagement rue des Saints-Pères. Il prisait également les vendredis classiques, réservés aux vieilles chansons françaises, de l’Éden-Concert, contigu au bazar, et y avait applaudi Yvette Guilbert avant qu’elle ne s’adonnât à un répertoire plus audacieux.
    Le gros polichinelle suspendu à la façade au moment des étrennes n’avait pas encore été remisé, à la joie des enfants. Djina se détendit en l’examinant. Ce fut presque guillerette qu’elle accepta enfin le bras de son compagnon et franchit la porte monumentale surplombée d’un lustre de bronze.
    Les parquets cirés longeaient des comptoirs débordant de marchandises que déplaçaient des ménagères sous la surveillance agacée des vendeuses.
    — N’imitons pas ceux que ce cher La Bruyère critiquait déjà dans son chapitre des Esprits forts  : « Ils sont indéterminés sur le choix des étoffes qu’ils veulent acheter : le grand nombre de celles qu’on leur montre les rend plus indifférents, ils ne se fixent point, ils sortent sans emplette », souffla Kenji.
    — Bravo, vous avez une mémoire prodigieuse.
    — C’est le métier qui m’y oblige, répliqua-t-il modestement. Je vous ai menti, j’ai ma petite idée, je souhaiterais savoir si vous la partagez. Mon décor sera le vôtre. Voyez-vous, je destine ce pied-à-terre à la rédaction de mes catalogues, mais si vous y consentez, je serais honoré de vous y

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