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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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recevoir, il est donc légitime que vous exprimiez votre préférence.
    Il avait formulé cette requête d’un ton si enjoué qu’il était difficile d’y deviner une arrière-pensée. Aussi le suivit-elle docilement vers le rayon des damas. Planté au débouché de l’escalier d’angle à la rampe ouvragée de ferronnerie, un commis en livrée, les cheveux gominés soigneusement divisés par une raie médiane, les dévisageait par-dessus ses demi-lunes. Ces deux-là appartenaient-ils à la catégorie des raseurs, des kleptomanes ou des véritables clients ?
    — Voilà, je balance entre ce damas broché à fleurs, et celui-ci, satiné, vert Nil, dit Kenji.
    — De quelle couleur est le papier tapissant vos murs ? demanda Djina, lissant un rouleau de perse chinée.
    — Ivoire, chuchota Kenji, dont les doigts s’égarèrent à leur tour sur le tissu, s’aventurèrent tels des crabes vers ceux de Djina, hésitèrent puis les étreignirent.
    — En ce cas, il serait sans doute judicieux d’élire cette teinte chaude et fleurie, conseilla-t-elle, le cœur chaviré, étonnée de sa propre témérité.
    Il hocha gravement le menton, comme si elle avait proféré une vérité infuse, et fit signe au commis.
    — Monsieur envisage de commander la confection de rideaux ? Vous avez les mesures ? Deux fenêtres ? J’appelle une vendeuse.
    Une jeune fille munie d’un mètre et de ciseaux coupa quatre panneaux de damas qu’elle plia méticuleusement.
    — Et les embrasses ? interrogea-t-elle.
    Ils évitèrent de se regarder, tant ce mot était lourd de sens.
    — Un tissu semblable, mais uni, des anneaux et des tringles de cuivre, décréta Djina.
    Ils formèrent une procession jusqu’à la caisse à la suite de la vendeuse, talonnés par le commis qui débitait rapidement la vente sur son carnet à souches. Kenji régla la note, dont un double fut piqué sur une pointe de fer. Le commis, appliqué à emballer le damas, s’enquit des destinataires auxquels on livrerait le paquet le surlendemain.
    — M. Kenji Mori, 6, rue de l’Échelle, premier étage gauche, énonça-t-il distinctement avec un coup d’œil éloquent en direction de Djina.

 
CHAPITRE XI
    Même jour, soirée
     
     
     
    Au 18 de la rue des Saints-Pères, Euphrosine Pignot tenait compagnie à Iris. Depuis leur réconciliation, elles passaient un temps fou à préparer le trousseau du futur nourrisson. Tabler sur son sexe relevant de prévisions hypothétiques, une layette blanche s’imposait. Euphrosine, reine du protocole, avait tout réglé dans les moindres détails. Ce premier-né aurait pour parrain son grand-père maternel, pour marraine sa grand-mère paternelle. Quant au prénom de l’enfant, elle s’était résignée à un compromis : Daphné, Euphrosine, Jeanne s’il s’avérait être une fille, ou Gabin, Victor, Kenji, si c’était un garçon.
    La librairie était vide, Joseph n’avait rien vendu. Encore une heure à tuer avant de se rendre avec sa mère à l’exposition de Tasha. Iris préférait s’abstenir, elle refusait d’exhiber son petit ventre rond.
    Assis au comptoir, le dos voûté, il ruminait, certain que la tâche qu’il avait assumée était au-delà de ses capacités. Il ferait mieux de consacrer ses loisirs à sa femme au lieu de se tourmenter à vouloir démêler un casse-tête supplémentaire, même si cela alimentait l’intrigue de ses romans, pour ce que ça lui rapportait ! Soudain, l’excitation longtemps refrénée finit par se libérer.
    « Le 6 mars ! Deux semaines à ronger mon frein ! En deuxième page du Passe-partout  : La Coupe de Thulé , par Joseph Pignot ! Ils vont en faire, une bobine ! Iris se rengorgera, maman va dévaliser le kiosque à journaux et Mme Ballu ameuter le quartier. Quant à Victor et M. Mori, je sais parfaitement ce qu’ils pensent : "Son style ne vaut rien, son imagination est pire, il est grandiloquent, tarte à la crème." Ils ont moins d’estime pour moi que pour les écrivaillons à la chaîne qui font les délices des moukères. Je m’en tape, 0llendorff a misé sur moi. »
    Il n’avait pas eu l’audace d’exiger une avance plus substantielle de peur de se faire rembarrer, allant jusqu’à concéder des modifications pour contenter Antonin Clusel, maître après Dieu du Passe-partout . « Mon petit Pignot, l’action de votre roman se déroule en Transylvanie et personne ne sait où ça se trouve. Simplifiez, tenez-vous-en à l’eau

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