Le Temple Noir
décharnée de son compagnon de geôle. Un sursaut de fierté le fit renoncer. Pourtant, ce Juif commençait de l’étonner. Lui-même en était surpris. Comment autant de résistance pouvait-elle résider dans un corps si frêle ? À croire que la foi et la prière pouvaient faire autant, si ce n’est plus que la force brute. La plateforme était à mi-chemin. Le Provençal en dénombra les occupants : le geôlier, son aide et deux hommes d’armes. L’un d’eux tapait du bois de sa lance sur le tablier. Il se pencha vers Maïmonès.
— Tu m’as bien dit que je vivrai ?
— C’est écrit, chuchota le rabbin.
Le tablier frôla la paroi et se mit à tanguer. Un des gardes lança une plaisanterie obscène. Le geôlier y répondit par un rire aviné.
— S’il est écrit que je ne dois pas mourir aujourd’hui, continua Roncelin, alors rien ne m’empêche de risquer ma vie.
Maïmonès leva un regard surpris.
— Qu’est-ce que tu veux tenter ?
Roncelin baissa la voix.
— Le geôlier est ivre. Son aide est un nabot. Quant aux deux gardes, j’en fais mon affaire.
— Mais ils sont armés !
Le Provençal ricana.
— Quand on te pousse à cinquante pieds du sol, ton épée ne te sert pas à grand-chose.
— Tu es courageux, chrétien, mais moi je suis trop vieux pour jouer les héros.
— Écoute-moi bien, je ne te demande qu’une chose : quand nous serons à mi-montée, jette-toi aux pieds du garde, celui qui a la lance, enserre ses bottes avec tes bras et implore sa pitié. Moi, je me charge du reste.
La plateforme toucha le sol. Le geôlier s’avança, un gourdin à la main. Roncelin se leva. Le gardien ne prévint pas. D’un coup brusque, il frappa le Provençal au niveau des rotules, qui s’effondra d’un coup.
Maïmonès se leva, ferma les yeux et, dans le silence de son cœur, prononça le prénom de sa fille.
Le geôlier lui fit signe.
— C’est toi qu’on vient chercher.
Bibliothèque du Temple
La cheminée crépitait doucement. L’Archiviste avait toujours été frileux. Assis sur un banc entre deux pans de la bibliothèque, il observait le Devin examiner la suite de lettres en hébreu, formées par le recoupement des deux plans.
— Huit lettres, compta le templier.
הת נת בית הר
— Deux pour chaque mot : la lettre initiale et la finale. C’est comme un jeu de piste, tu dois deviner ce qui manque entre les deux.
— Alors il y a quatre mots… Mais comment fait-on pour les découvrir ?
— En procédant par supposition et élimination, on peut compléter ce qui manque.
Surpris, le Devin se retourna. Ses yeux pétillaient de curiosité.
— Et ces mots, tu les as retrouvés ?
— Bien sûr.
Un instant, le templier crut que l’Archiviste avait perdu la tête ou se moquait de lui. Il posa la question qui lui démangeait les lèvres, aussi posément que possible.
— C’est un message ? Tu sais ce qu’il veut dire ?
— Oui, prononça le moine en se levant. (Il tira une feuille de vélin d’un tiroir et la posa sur la table.) Voilà l’original en hébreu et la traduction.
Le Devin saisit la page où se trouvait une seule phrase écrite à l’encre noire :
האמת נמצאת בתחתית הקבר
La Vérité gît au fond du tombeau.
Sidéré, il parla à voix haute :
— Des centaines d’hommes pendant des décennies ont creusé la terre de Jérusalem, pour… ça ? Simplement ça ? Une maxime à deux sous ?
— Au premier abord, c’est décevant, sans doute, répondit l’Archiviste, mais je te rappelle que l’hébreu est une langue très particulière, très mystérieuse.
— Comment ça ?
— Selon les Juifs, c’est le Verbe même de Dieu. L’alphabet avec lequel il a créé tout l’univers. Ainsi les lettres ont un pouvoir divin, elles peuvent avoir autant de sens que la Création.
Un instant, le Devin sentit sa tête tourner. Des lettres, tombées de la bouche de Dieu, selon leur valeur cachée, enfantaient des montagnes ou des arbres, des mers ou des hommes.
— Alors, ce message a un sens caché ?
L’Archiviste le fixa d’un regard fatigué par des nuits de veille passées à tenter de déchiffrer le message remonté du monde souterrain.
— Voilà pourquoi, il nous faut un kabbaliste.
On frappa à la porte. Une face meurtrie apparut dans l’embrasure. Le moine poussa un cri. Le Devin reconnut Évrard.
— Si c’est le Puits que vous cherchez, annonça l’Archiviste,
Weitere Kostenlose Bücher