Le Temple Noir
femme rousse, en tailleur, était face à un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux argentés, la cravate rouge, la veste de tweed sombre. L’image parfaite du lord anglais.
La journaliste : Les agences de notation sont attaquées de toutes parts. On vous accuse de ruiner les États en abaissant leurs notes, de mettre sous pression les entreprises. Que répondez-vous ?
Lord Fainsworth (visage impassible) : L’économie des pays occidentaux traverse en ce moment un passage difficile, et particulièrement la zone euro. Je comprends donc les angoisses exprimées et je vous remercie de m’inviter pour y répondre. Mais puis-je vous retourner la question ? Vous êtes bien journaliste ?
La journaliste (visage surpris) : Oui.
Lord Fainsworth : Quand vous traitez une actualité particulièrement dure, par exemple un plan social, comment vous y prenez-vous ?
La journaliste : N’inversons pas les rôles, c’est moi qui pose les questions. Nous exposons les faits en toute indépendance : situation de l’entreprise, état des comptes, etc. Et nous donnons la parole aux syndicats et aux dirigeants. Les téléspectateurs se font leur opinion. Je ne vois pas très bien le rapport…
Lord Fainsworth : Vous avez trouvé le mot juste : l’indépendance. Les États et les entreprises empruntent de l’argent, et il faut bien que les prêteurs soient rassurés sur leur capacité de remboursement. Dans un monde idéal, on pourrait les croire sur parole mais en pratique les investisseurs ont besoin d’expertises financières fiables et indépendantes. Et après, ils sont libres de se faire une opinion, comme vos téléspectateurs.
La journaliste (visage avec une moue ironique) : Un peu facile, la comparaison. Justement, beaucoup de gens remettent en cause votre objectivité.
Lord Fainsworth : De la même manière qu’ils doutent de l’indépendance des médias… Ont-ils raison pour autant ?
Jade mit en accéléré.
— Un gros malin, ce Fainsworth… Il y a un passage, un peu plus loin, qui pourrait t’intéresser.
La journaliste : Êtes-vous conscient du pouvoir que vous avez, vous et les autres agences de notation ?
Lord Fainsworth (visage impassible) : Contrairement à ce que les gens pensent, nous sommes conscients de nos responsabilités. Je dirais même, de notre mission sur terre. Fluidifier l’économie et favoriser la prospérité des peuples.
La journaliste : Mission sur terre ? Cela veut dire qu’il y a un ciel. Vous êtes croyant ?
Lord Fainsworth : À ma manière, oui. Ne sommes-nous pas des soldats aux avant-postes de l’économie mondiale ? Nous n’appartenons à aucun pays, à aucune entreprise, et pourtant nous sommes au service de tous, un peu comme des moines.
La journaliste : Des moines-soldats ? Comme les Templiers des anciens temps ?
Lord Fainsworth (les yeux brillants) : Les Templiers… Madame, vous ne pouviez pas trouver de plus beau compliment.
La journaliste : Certes. Passons aux Jeux olympiques : Concordia est l’un des grands sponsors de cet événement ?
Lord Fainsworth (visage impassible) : Oui, nous avons financé en particulier la construction du toit et des éclairages…
Jade arrêta l’enregistrement.
— La suite n’a aucun intérêt. Il reste de marbre face aux attaques sur son agence et il s’enflamme sur les Templiers.
Antoine restait songeur.
— Admettons que Fainsworth soit au courant de la découverte du trésor au Sacré-Cœur. Il envoie une équipe là-bas pour déterrer un objet dans le monolithe et filer ensuite dans ce centre de recherche nucléaire. Puis il apprend que j’arrive à Londres et me fait kidnapper par ses sbires, eux-mêmes liés à la Grande Loge d’Angleterre. Ça fait beaucoup. J’ai du mal à tout connecter.
Jade se leva et alla ouvrir un petit frigo où se trouvaient des canettes de bière. Elle en prit deux, qu’elle déposa à côté de l’écran. Marcas continuait :
— Le DGPN m’a donné carte blanche pour mener mon enquête mais il va me falloir plus qu’une vidéo pour m’aider, Jade.
La jeune femme ouvrit la canette.
— Quelle aide ? Personne de l’ambassade ne voudra se mouiller pour toi et tu n’as aucun pouvoir ici. On te chope avec ton arme de service et tu files droit en taule. Tu n’as même pas le statut diplomatique pour te faire exfiltrer.
Antoine hocha la tête. Elle avait raison, il se trouvait bloqué. Son enquête le menait tout droit à
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