Le Temple Noir
Antoine par les épaules.
— Mais ça change tout. Tu es à Londres, le berceau officiel de la franc-maçonnerie mondiale, créée à l’époque par des frères très pieux pour qui l’humanité faisait partie d’un dessein divin. C’est à Londres que fut créée la première loge en 1717 et que notre fraternité a essaimé dans le monde. Tu crois vraiment que tu serais maçon si mes ancêtres, chrétiens jusqu’à la moelle des os, ne s’étaient pas réunis il y a des siècles dans des tavernes pour tailler leur pierre ?
— Mon enquête va…
Standford coupa Marcas d’une voix âpre.
— Laisse-moi finir ! Ne t’a-t-on pas appris à laisser parler les frères les plus anciens, même s’ils radotent ?
Antoine vit à nouveau apparaître le sourire malicieux. Il inclina la tête en signe d’excuses, alors que de grosses gouttes tombaient lourdement à terre.
— Continue…
— À la bonne heure. Mets-toi à la place des Templiers, des moines déguisés en soldats ou bien l’inverse, des guerriers qui voyaient les signes de Dieu à tous les carrefours, même s’ils avaient le sens de la politique et des affaires. Si Fainsworth veut mettre la main sur leur secret, je suis persuadé qu’il s’est mis en tête de raisonner, de penser, de respirer comme eux. Ce qui lui donne un sérieux avantage sur toi. Tout maître maçon, français, libre et éclairé que tu sois… Je veux bien t’aider, mais ce sera à ma manière. À prendre ou à laisser.
— On peut continuer le cours de maçonnologie religieuse au sec. Il pleut et je le dis au sens propre du terme, répliqua Antoine.
Standford ouvrit son parapluie au-dessus de sa tête.
— Première leçon. Se munir des bons outils, dit-il en regardant son pépin se déployer lentement, comme une corolle fripée.
Marcas grimaça en se protégeant avec sa veste au-dessus de sa tête. L’Anglais ne bougeait pas d’un pouce, le regardant se tremper sous la pluie. Son visage avait perdu toute expression de malice.
— Deuxième leçon. Me faire confiance et venir avec moi.
— Oui, mais avec l’amie de l’ambassade dont je t’ai parlé.
— Pas question de mêler une profane à nos affaires maçonniques, asséna-t-il d’un ton tranchant.
— Je réponds d’elle. Et tu brûles d’envie d’aller plus loin. À prendre ou à laisser… J’apprends vite, cher maître…
Standford hésita, sa main crispée sur la poignée de parapluie, puis répondit avec lenteur.
— Qu’elle reste à sa place. Tu en es garant.
— Notre destination ?
— Sésame, ouvre-toi. Là où tu voulais te rendre. Freemasons’ Hall.
Derrière la grille qui longeait la voie rapide de Piccadilly une Chrysler noire était garée sur le bas-côté. À l’intérieur, deux hommes manipulaient une sorte de gros dictaphone en aluminium, relié à une antenne parabolique. Le chant des oiseaux et la voix de Standford se répercutaient dans l’habitacle par les deux haut-parleurs accolés à l’appareil.
Andrew se tourna vers le rouquin.
— Ce flic français est tenace.
— Nous aussi…
1 - Expression employée pour que les frères en loge puissent s’exprimer après la présentation d’une planche.
45
Ordre du Temple
Novembre 1232
Un Grand Maître était toujours un homme seul. Armand de Périgord le ressentait plus encore ce matin. Le froid était retombé sur Jérusalem. Le gel, plaqué sur les carreaux losangés des fenêtres, brûlait le regard. De la ville, on n’apercevait plus qu’une épure brillante sous le givre. Le Grand Maître avait l’impression de voir une de ces enluminures représentant la Jérusalem céleste. La Ville sainte où, après l’Apocalypse, vivraient les élus de Dieu. Une ville de lumière. Il se demanda s’il y gagnerait sa place en tentant de déchiffrer le mystère des souterrains de Salomon. Ce matin il en doutait fort.
Périgord retourna à sa table de travail. Dans l’antichambre attendait l’Archiviste. Avant de le faire entrer, il contempla les deux vélins dépliés sur la table. L’un avait été apporté par Évrard, l’autre venait du Légat.
Deux chemins du destin.
Il fit tinter une clochette de bronze. L’Archiviste entra. Le moine, les mains jointes et l’air absorbé, priait en silence. Le Grand Maître, à son tour, entama une oraison. Ils allaient en avoir besoin.
— Le rabbin est mort.
Contrairement à l’habitude, les yeux du moine ne cillèrent pas. Il resta figé,
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