Le Temple Noir
sinon je suis certain que Peter Standford ici présent confirmera auprès de ses supérieurs que j’étais en état de légitime défense.
Sous le regard effaré de Jade, l’Anglais ajouta d’une voix basse :
— Mieux que ça, mon cher frère. Dans mon rapport, c’est moi qui ai abattu cette femme alors qu’elle te menaçait avec une arme. En tant qu’ancien du Yard, je crains que personne ne mette ma parole en doute…
Antoine ricana à son tour.
— Fais-moi plaisir, dis-moi non encore une fois.
La tueuse se releva en essuyant le sang qui coulait de sa lèvre supérieure.
— OK, mais va te faire mettre quand même.
Marcas évita le regard désapprobateur de Jade et poussa la Louve vers la trappe. La tueuse prit la torche de Standford et passa la première. L’escalier s’enfonçait rapidement ; au fur et à mesure de la descente, la pierre suintait une odeur trouble d’humidité et de moisi. Antoine qui la suivait, l’arme au poing, remarqua à intervalles réguliers, des marques gravées dans la lueur fugitive des lampes de poche. Triangles, fils à plomb, lettres suivies de chiffres romains, carrés percés de points, des symboles probablement façonnés par les tailleurs de pierre qui avaient dû chantourner et maçonner les pierres de ce souterrain.
Passé la dernière marche, ils atteignirent un boyau étroit d’une dizaine de mètres qui se terminait par un mur. Le sol de pierre était composé de grandes dalles rectangulaires, noires et blanches. Chacune était ornée d’un motif maçonnique. Selon la couleur, figurait tantôt une étoile flamboyante, marquée du chiffre 3, tantôt une pierre de taille surmontée d’un triangle.
Fainsworth prononça à haute voix la suite du message découvert dans le tombeau de Wren.
— « Le maillet révèle l’étoile dont le ternaire attise le feu. »
Antoine haussa la voix :
— Étoile munie du ternaire contre pierre cubique surmontée de la pyramide, symbole de la perfection maçonnique. Intéressant. Comme sous le Sacré-Cœur, il y a sûrement un piège… Mais il n’y a qu’un moyen de le savoir. Avance.
La Louve hésita, la peur se lisait dans ses yeux. Elle implora Fainsworth.
— Mon amour, aide-moi.
L’aristocrate la prit par les épaules.
— Choisis l’étoile, elle attise le feu ardent. Le feu de la connaissance, chez les alchimistes. C’est un symbole favorable. Aie confiance.
Elle se détacha et le scruta avec un regard ambigu.
— Si je m’en sors…
La tueuse s’avança lentement et posa le pied sur une dalle noire. Rien ne se passa, elle posa le suivant, encore plus lentement, et s’arrêta. Ni le sol ni les murs ne s’écroulèrent. Elle poussa un soupir. Fainsworth exultait.
— Je te l’avais dit, tu es guidée par le feu ardent. Tu ne risques rien.
Elle reprit sa marche. Évitant les dalles blanches, elle parvint au milieu du boyau quand un craquement se fit entendre.
— Vous avez entendu ? lança Jade.
La Louve leva la tête vers le plafond de pierre. Une goutte jaune tomba sur le coin de son œil. Elle battit des paupières.
— Qu’est-ce que c’est que cette saloperie ?
Soudain, des myriades de gouttes tombèrent à leur tour. Une odeur âcre envahit la pièce. Au sol, la pierre se liquéfiait déjà.
— Reculez-vous, hurla Antoine, c’est de l’acide !
— L’eau vive des anciens, s’écria Standford.
Ils coururent se réfugier dans l’escalier. La Louve se tordait et hurlait comme une possédée. Sa peau se couvrait de cloques fumantes, ses cheveux tombaient par touffes.
— On ne peut pas la laisser comme ça ! s’écria Jade.
— Je n’ai pas de parapluie, attendons que l’averse passe, répliqua Antoine.
Fainsworth, lui, observait avec neutralité le corps pris de convulsions.
— Le feu ardent… Bien sûr, j’aurais dû y penser, c’était le surnom donné par les alchimistes du Moyen Âge à l’acide sulfurique.
La face défigurée de la Louve surgit brusquement. Trouée de partout, la peau écarlate comme arrachée et mise à vif. L’œil droit n’était plus qu’une boursouflure purulente. Le crâne comme une orange pelée.
Antoine était hypnotisé par la scène. Devant le visage souffrant de Gabrielle, sa séance de torture de l’année précédente revivait dans son esprit. Il réalisa qu’il prenait du plaisir à voir la Louve se tordre de douleur. Chaque sanglot, chaque cri, était comme du baume passé sur ses propres
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