Le Temple Noir
leçons de déontologie à la petite semaine m’amusent de moins en moins.
— C’est marrant, et moi qui pensais que l’éthique était l’une des valeurs phare chez les frères de ton obédience. À ce propos, ton grand maître, il en est où avec son appartement de fonction et la mise sous tutelle des comptes de l’ordre par la justice ?
Les deux hommes s’affrontèrent du regard. Le président intervint, goguenard.
— Deux francs-maçons qui s’étripent dans le jardin de l’Élysée. Messieurs, ça me convainc d’une chose, c’est que le grand soir du complot maçonnique n’est pas encore arrivé.
Il continua, cette fois sur un ton plus grave.
— Mon cher Marcas, j’ai bien entendu votre message et je respecte cela. Moi-même plus jeune, je me suis lancé en politique avec l’idéal chevillé au corps, mais maintenant, à mon poste, je ne peux plus me permettre d’avoir des états d’âme.
Antoine songea que les responsables politiques de tous les pays se noyaient dans les mêmes justifications pour prendre leurs décisions. Il en avait assez d’être ici et ne désirait qu’une chose : retrouver Gabrielle. Mais avant de lâcher il tenta un dernier coup.
— C’est peut-être pour cela que les gens ne croient plus dans la politique, Monsieur le Président. Rassurez-vous, je répondrai présent à l’appel du devoir et je ne dirai rien. Je ne demande qu’une chose.
— Laquelle ?
Marcas hésita quelques secondes puis se lança, il n’avait rien à perdre.
— À l’origine de l’Ordre, les Templiers s’appelaient les Pauvres Chevaliers du Christ. Je ne sais pas ce que vous comptez faire avec l’argent que vous allez récolter, mais cela serait bien d’en rétrocéder une part, non négligeable, aux nécessiteux.
Le frère obèse ne put s’empêcher de ricaner.
— Les Pauvres Chevaliers du Christ, elle est bien bonne, celle-là. Ils étaient riches comme Crésus et jouaient les banquiers pour toute la chrétienté. Que c’est beau cette compassion. C’est comme dans ton obédience, beaucoup de belles paroles mais on ne se mêle pas au peuple. Dans les loges de bobos on ne taille pas sa pierre avec les clodos.
Marcas rétorqua sur un ton froid.
— Et dans les loges de fripons, on fait du pognon.
Le visage du frère obèse s’empourpra. Les corbeaux observaient la scène en se dandinant sur leurs pattes. Le président leva la main, il gardait un goût secret pour les altercations en sa présence, ça lui permettait de faire preuve d’autorité et d’imposer ses vues.
— Messieurs. Vous n’allez pas recommencer. Ce doit être la chaleur qui échauffe les esprits. Commissaire, je trouve votre idée excellente. Elle vous honore.
Il se tourna vers le conseiller de Bercy.
— Combien pourrions-nous débloquer ?
Le petit homme crispa ses lèvres, il n’était pas emballé. Ça se voyait.
— Monsieur le Président. Je dirais quelques millions d’euros sur une enveloppe spéciale.
Le président jeta un regard en coin à Marcas, le visage fermé.
— Allons, Charpentier, un peu plus de cœur, bon sang. Le trésor du Temple se chiffre en milliards. Ne jouez pas les harpagons. Réfléchissez en dizaines au lieu d’unités.
— Notre déficit est colossal, il faut résorber les comptes sociaux. Cinquante millions d’euros, ça doit pouvoir se trouver.
Le visage du président s’éclaira. Il se tourna vers Marcas.
— Qu’en dites-vous ? Une belle somme, non ? Vos Templiers seraient fiers de nous.
Antoine secoua la tête. Ils le prenaient pour un crétin, ils allaient en avoir pour leur argent.
— Monsieur le Président, levez dix milliards d’euros sur les marchés et offrez-en un dixième. Vous resterez dans l’histoire de la Cinquième République comme le président qui a voulu éradiquer la pauvreté en France. Grâce au trésor des Templiers.
Le petit homme de Bercy faillit s’étrangler :
— Un milliard d’euros. C’est impossible. Je m’y oppose formellement. Nous devons favoriser l’investissement des PME, développer les énergies renouvelables, soulager la fiscalité des…
— L’Europe a distribué des milliards aux banques pendant la crise, rétorqua Marcas.
Le frère obèse ricana.
— C’est la lutte finale…
Le président l’interrompit.
— Un milliard contre la pauvreté. Ça sonne bien comme slogan. Décidément, Marcas, vous me plaisez ! Et vous me coûtez moins cher que mes conseillers en
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