Le Temple Noir
plaies que l’eau stagnante infectait. À plusieurs reprises, il avait voulu se tuer, mais il était incapable d’en trouver la force. Plus acide que le froid, plus vorace que les rats, le désespoir le dévorait. Il eût mieux valu qu’il meure sous les remparts d’Al Kilhal par la main des habitants ou celle des soldats du Légat. Une mort rapide, brutale et sans gloire. À l’image de son passage sur terre. Mais Dieu ou le diable en avait décidé autrement. Il sentait les poils durs de sa barbe et l’odeur graisseuse de ses cheveux. Il faillit vomir. Après tout, ce n’était que justice. Dans cet enfer humide, il n’avait rien pour se raccrocher, on lui avait même enlevé la bague léguée par son père. Rien dans sa vie n’avait été digne de la lignée des seigneurs de Fos. Il était le dernier bourgeon pourri d’un arbre mort.
Son cauchemar le harcelait. Pour s’en défaire, Roncelin décida, une fois de plus, d’explorer sa prison. Pouce par pouce, il suivit la muraille, cherchant un interstice, une saillie, n’importe quoi qui puisse faire briller une lueur d’espoir, mais comme chaque fois, sa ronde circulaire le ramenait à son point de départ.
Il était au fond du puits de la mort.
Le Provençal se laissa retomber dans l’eau croupie et sanglota, désespéré. Soudain un grincement métallique en hauteur déchira le silence. Une voix plus sombre que la nuit coula sur les parois du puits pour glisser dans son oreille.
— Tu vas avoir de la compagnie. Un présent du Légat.
Il se leva et se plaqua contre la pierre humide.
— Pitié ! Sortez-moi de là.
Un éclat de rire ponctua son appel à l’aide. La voix désincarnée reprit :
— Ça viendra… Plus tôt que tu ne croies. Et ce jour-là, tu prieras le ciel pour revenir au plus vite dans ce trou.
Au-dessus de lui, les flammes d’une torche chassaient pour un temps les ténèbres. Éclairé par intermittence, un tablier de chêne descendait lentement, retenu par une corde. Un gémissement sourd erra entre les parois du puits au rythme des oscillations. Roncelin gratta sa barbe sale. De l’autre côté, des points rouges fixaient aussi la pièce de bois. Attirés par la lueur des flammes, les rats sortaient de leurs boyaux et venaient au spectacle. Le tablier bascula sur le côté et, dans un hurlement, un corps chuta dans l’eau glacée.
— Te voilà en couple, ricana la voix anonyme.
L’inconnu se relevait en tremblant, les épaules flagellées, le visage sillonné de coups. À la lueur du flambeau resté sur le plateau de chêne, Roncelin reconnut le rabbin d’Al Kilhal. L’œil gauche n’avait plus de paupière. Un bras pendait comme désarticulé. Quand il le vit, le vieux Juif s’agrippa à la paroi pour fuir.
— C’est toi… toi, le démon qui nous a attaqués.
Roncelin cracha dans l’eau putride. Le rabbin s’appuya contre la pierre glissante. Ses jambes se dérobaient.
— Sois maudit !
Le Provençal saisit Maïmonès par sa tunique déchirée. Le vieillard était aussi léger qu’un fétu de paille.
— Qui t’a mis dans cet état ?
— Le Légat…
Épuisé, le rabbin s’affaissa.
— … c’est lui qui m’a torturé.
Roncelin desserra son étreinte. Devant eux, le tablier remontait et, avec lui, la torche aux lueurs vacillantes. La voix, venue d’en haut, retentit alors que les ténèbres se reformaient.
— Roncelin… bientôt ce sera ton tour !
21
Paris
Montmartre
De nos jours
Le petit bureau du gardien était situé au dernier niveau de l’école et bénéficiait d’une vue magnifique sur le dôme du Sacré-Cœur. Un mur entier était occupé par des étagères remplies de cassettes vidéo et de livres de poche à la reliure jaunie tandis qu’un autre était recouvert d’un poster géant, punaisé, de la compagnie aérienne El Al – période années soixante –, représentant une vue panoramique de Jérusalem, et d’une affiche du PSG , période glorieuse de l’entraîneur Wahid.
Sous la fenêtre, trois écrans étaient posés sur un vieux bureau, encombré de coupes de sport et de cadres de photos d’équipes de foot.
Les cris des enfants qui jouaient dans la cour de récréation montaient jusqu’aux étages supérieurs de l’école. Le gardien ferma la fenêtre en jetant un regard attendri vers les gamins qui se chamaillaient autour d’un ballon, puis il se tourna vers Marcas.
— Ma famille habite le quartier depuis la fin du XIX e
Weitere Kostenlose Bücher