Le Temple Noir
d’huile dont le reflet vacillait sur la pierre. À ses côtés, ses deux officiers, l’Archiviste et le maître du rituel, se tenaient muets. Un étrange silence régnait dans cette ancienne citerne dont la voûte se perdait dans l’obscurité. Sur le crépi imperméable, on pouvait encore voir des inscriptions laissées par les légionnaires, mille ans plus tôt. Dieu seul savait combien d’hommes avaient défilé en ces lieux, des esclaves constructeurs aux premiers chrétiens venus s’y réfugier : une longue chaîne d’anonymes dont les anneaux invisibles rivaient l’attention des frères présents. Sans aucun doute, le Devin, plus qu’un autre, y était sensible, lui qui conversait avec les morts. On disait que c’était un moine qui lui avait transmis ce don. Armand de Périgord sentit son échine frémir. Tout ce qui touchait au surnaturel le fascinait. Durant toutes ces années en Terre sainte, il s’était passionné pour ces prêtres défroqués, ces moines en rupture de ban, errant dans le désert, oscillant sans cesse entre ferveur et folie. Le Grand Maître en avait croisé certains : leur regard était fixe, leur corps émacié, mais leur voix, quand ils parlaient, pouvait soulever les foules. Par principe, les templiers les surveillaient. Dès que les frères entendaient parler d’un de ces prêcheurs avides d’absolu, ils envoyaient une reconnaissance. C’est comme ça que le Devin avait gagné son surnom. Déguisé en mendiant, son rôle favori, il avait gagné un village isolé où la rumeur prétendait qu’un étrange moine accomplissait des miracles. On disait surtout qu’il faisait parler les morts. Une antique tradition héritée des païens, mais dont on discutait à mots couverts tant le risque de se voir accusé d’hérésie était grand. D’ailleurs, quand le Devin arriva, le moine était sur le point de rejoindre ses interlocuteurs de l’ombre. Effrayée par ses échanges avec l’au-delà, la population avait promptement lapidé le religieux qui agonisait dans un ravin où personne n’osait plus s’aventurer. Seul le Devin s’y rendit. Nul ne sait ce qui se passa entre le moribond et le templier, mais quand ce dernier revint, il avait une oreille dans le royaume des ombres.
Armand de Périgord leva son regard. Le Devin se tenait agenouillé dans ses habits d’emprunt et attendait les ordres. Il tendit la main au-dessus de l’autel.
— Mon frère, nous avons entendu ton récit des événements d’Al Kilhal. Il est fort regrettable que tu n’aies pu ramener par-devers nous le rabbin de cette ville…
Un éclat sombre passa dans les yeux du Devin.
— … C’est maintenant au Conseil de décider de ton sort. Lève-toi et place-toi devant l’autel.
D’un bond, le templier s’avança. Le Grand Maître se tourna vers l’Archiviste qui lui tendit un livre à la reliure vermeille, clos de deux fermoirs d’argent. Armand le posa sur l’autel et se déganta.
— Sur la foi et le témoignage de nos maîtres passés, jure, devant Dieu et tes frères, de ne jamais révéler ce que tu as vu ou entendu ici-bas.
La tête droite, le Devin croisa ses bras sur la poitrine avant de répondre :
— Je le jure.
Le Grand Maître posa son poing fermé sur la reliure du livre.
— Au nom de tous tes frères, présents et passés, je prends acte de ton serment. Que le cercle soit rompu.
Un des officiers se leva et se dirigea vers une des trois chandelles qu’il moucha.
— La Justice brûle dans nos cœurs.
À son tour, le second officier souffla la flamme suivante.
— La Foi veille dans notre âme.
Armand de Périgord se leva pour éteindre la dernière lumière quand, d’un coup, la porte s’ouvrit, et le gardien surgit sur le seuil. Sa voix, entrecoupée, résonna dans la citerne :
— Grand Maître… venez vite… nos frères… ils sont tombés dans une embuscade.
Le Puits
Chaque jour, un trou s’ouvrait en hauteur, et un seau, suspendu à une corde, tombait comme un caillou. La première fois, Roncelin s’était méfié. Quand le récipient avait heurté la surface de l’eau, un bruit infect avait couru dans le cachot. La deuxième fois, il avait compris : s’il voulait manger la maigre pitance, jetée au fond du seau, il lui faudrait d’abord arriver plus vite que les rats.
Tout son corps n’était plus qu’une cicatrice purulente. À défaut de s’emparer de la nourriture, les rongeurs se vengeaient en le mordant, le couvrant de
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