Le Temple Noir
d’elle en poussant un grognement. Il était le quatrième et trois autres attendaient leur tour, impatients de jouir avant qu’elle ne succombe à ses blessures.
Son ventre n’en finissait plus de se déchirer sous leurs assauts et le peu de conscience qui subsistait en elle implorait un ciel absent.
À l’écart, assis sous un olivier, Roncelin observait le viol collectif avec dégoût, mais ne bougeait pas. Le cinquième soudard poussa son prédécesseur sur le côté et s’installa entre les cuisses de la fille. C’est lui qui avait poignardé la bergère entre la deuxième et la troisième côte ; il savait par expérience qu’elle mourrait avant la tombée du jour.
— Elle est à peine tiède, grommela-t-il alors qu’il s’enfonçait dans sa chair.
Le corps frêle fut secoué d’un spasme grotesque et Roncelin vit la tête de la fille se tourner dans sa direction. Ses paupières rougies tressautaient, laissant luire deux pupilles dorées par les derniers rayons de lumière. Elle le scrutait, lui et aucun autre de la bande. Il le savait.
Sa bouche blanchie s’entrouvrit. Il était à plusieurs toises et pourtant il entendit sa plainte.
— Tue-moi.
L’or de ses yeux coulait dans les siens. Il restait paralysé, incapable de se lever pour obéir. La voix retentit à nouveau.
— Tue-moi. Pour l’amour de Dieu.
Il secoua la tête, mais une sensation oubliée venait de se réveiller. La compassion pour la souffrance. La voix se transformait en un torrent en crue :
— Tue-moi, Roncelin… Tue-moi, Roncelin… Tue-moi, Roncelin.
Autour de ses deux iris scintillants, le visage de la fille se décomposait. Le Provençal ne bougeait toujours pas. De toute façon, il ne voulait, ni ne pouvait se mettre ses hommes à dos. L’enjeu était trop important, pas avant la prise d’Al Kilhal. Écrasé sur elle, l’homme creusait son ventre avec entrain. La voix de la fille hurla brusquement dans son oreille droite :
— Tue-moi.
Elle n’eut comme seule réponse qu’un halètement accéléré. Sa joue pâle s’enfonça dans l’herbe. Le soleil passa de l’autre côté de la terre et l’éclat doré de ses yeux disparut. Roncelin crispa sa main sur le manche de sa hache. La pitié se mua en colère. Sous les yeux de ses compagnons interloqués, il se leva pour se précipiter sur la fille. Il saisit le soudard et le projeta sur le côté. Puis, lentement, il s’accroupit à côté du visage dont le regard s’éteignait.
— Non !
Pour la première fois, depuis longtemps, Roncelin sentit des larmes goutter sur sa peau tannée. Les larmes d’un lâche.
Soudain, la jeune fille ouvrit les yeux. L’or des pupilles s’était transformé en plomb et la souffrance en rage. Ses mains agrippèrent brutalement la tête de Roncelin, les ongles remplis de terre se plantèrent dans sa nuque. La bouche lourde de sang s’approcha de ses lèvres.
— Tu es comme tes compagnons. Viens en moi.
Roncelin hurla et se réveilla dans les ténèbres humides.
Il cligna des yeux. La jeune fille violée avait disparu. Son esprit mit quelques instants à comprendre où il se trouvait. Comme à chaque réveil, il tenta de percer l’obscurité. En vain. De la main il toucha la paroi, puis l’eau fétide qui l’encerclait. Rien n’avait changé. Le miracle n’avait pas eu lieu. Il était toujours prisonnier du Légat. Depuis qu’il avait été capturé et transféré à Jérusalem, Roncelin n’avait plus vu le jour. Hirsute et famélique, il survivait agrippé à la muraille, les jambes dans l’eau glacée. Quand il en avait encore la force, il massait ses chevilles, mais depuis la veille, il ne sentait plus ses orteils. Dès qu’il s’endormait, des cauchemars l’assaillaient. Les victimes de ses pillages venaient le hanter. Un cauchemar surtout le terrifiait, celui d’Al Kilhal. Le viol collectif sur la jeune bergère, le massacre des habitants de la ville, les visages des femmes en rouge clouées sur la place publique par ses archers. Lui, le chef des djinns, lui qui faisait régner la terreur en Terre sainte n’était plus qu’un enfant terrifié. Quand l’horreur cessait, il se réveillait, suffoquant, de l’eau croupie dans la bouche. Il lui fallait parfois des heures pour se calmer, quand il ne hurlait pas de désespoir comme une bête fauve prise au piège. Dieu l’avait puni et jeté en enfer.
Maison de l’Ordre
Derrière l’autel, Armand de Périgord fixa le bec
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