Le templier déchu
cicatrices le soir de son retour, quand j’ai demandé à voir la tache de naissance qu’il avait dans le dos.
Le prêtre la fixa d’un regard atterré.
— Vous avez demandé à votre mari des preuves de son identité ?
— C’était la moindre des choses. Je le prenais pour un imposteur, mon père. L’accepter sans poser de questions aurait été aussi immoral que criminel envers les gens qui sont sous ma protection.
— Il n’empêche que vous n’êtes toujours pas convaincue que cet homme est votre époux.
— Non... enfin, c’est juste qu’il semble si différent de celui qu’il était. Je peux concevoir que ce qu’il a enduré aux mains des Anglais l’ait changé. Que les tortures aient effacé sa tache de naissance. Et je ne puis nier qu’il se souvient de détails nous concernant que lui seul peut connaître. Je... je sais que tout cela n’a aucun sens, que je ne devrais pas réagir ainsi, mais...
Bouleversée, elle se cacha le visage entre les mains.
Le père Paul soupira, et lui tapota la main.
— Il est certain que vous traversez une épreuve fort difficile, madame.
Elizabeth releva la tête, et murmura d’une voix que l’émotion rendait rauque :
— En vérité, mon père, je ne sais si je dois abandonner la sécurité de ce château entre les mains de cet homme qui m’apparaît comme un étranger. Je ne sais pas si je dois m’abandonner à lui.
— Le retour du maître est une bonne nouvelle pour les habitants du domaine. Nous savons d’ores et déjà que les attaques à la frontière nord vont cesser, le comte de Lennox ne pouvant plus espérer une alliance avec vous puisque votre mari est vivant. C’est là une bénédiction, soyez-en assurée.
— Certes.
— Il me semble donc que votre devoir en tant qu’épouse tombe sous le sens.
— Mais pourquoi ne puis-je m’empêcher de douter ?
— Il n’y a rien de surprenant à ce que vous soyez troublée, mon enfant. Vous étiez mariée depuis très peu de temps quand le comte a été capturé, et le voilà de retour, apparemment différent de l’homme qui vous restait en mémoire. N’oubliez pas que le temps a tendance à brouiller notre perception des choses. Quand nous sommes de nouveau confrontés à la réalité, elle peut apparaître tout autre que dans nos souvenirs aux contours flous. C’est probablement là qu’il faut chercher la raison de vos doutes récurrents, et nulle part ailleurs.
Le prêtre se leva et ajouta :
— Nous autres, simples mortels, sommes bien peu de chose, dame Elizabeth. Nous devons accepter d’emprunter le chemin que Dieu a choisi de tracer pour nous et prier pour qu’Il nous donne la force de Le suivre.
— Êtes-vous en train de me dire que je devrais ignorer mes soupçons et accepter cet homme comme mon mari ?
— Je dis que vous devriez vous donner le temps de vous accoutumer à sa présence. De son côté, il semble désireux d’accomplir la moitié du parcours. Passez du temps ensemble, retrouvez vos habitudes, et vous verrez que les choses se mettront tout naturellement en place.
À cet instant, un bruit feutré provenant de la pièce voisine attira leur attention. On aurait dit que quelqu’un avait déplacé une chaise ou tenté de refermer une porte en douceur. Elizabeth fronça les sourcils :
— Attendiez-vous quelqu’un, mon père ?
— Non, personne.
Le prêtre alla ouvrir la porte voûtée qui communiquait avec l’autre pièce. Il disparut, puis revint au bout de quelques secondes.
— Non, ce n’est rien. Un courant d’air, peut-être, supposa-t-il en refermant le battant derrière lui.
Elizabeth se leva.
— Il est presque l’heure de tierce, fit le père Paul. Allez, mon enfant, et priez Sainte Monique pour qu’elle vous aide à y voir clair. Je suis sûr qu’elle vous entendra.
— Oui, mon père, acquiesça docilement la jeune femme alors même que son âme était toujours en proie au chaos.
Et tandis qu’elle quittait la pièce, elle songea avec lassitude qu’il lui faudrait sans doute plus que l’intervention d’une sainte pour la guider à travers le brouillard d’émotions que celui qui se prétendait le nouveau maître de Dunleavy éveillait en elle.
Les hommes de la garnison s’entraînaient au combat depuis le début de la matinée. Le soleil brillait à présent haut dans le ciel et la chaleur tombait sur la cour telle une chape de plomb. Les lames, les casques et les écus étincelaient.
Depuis six jours, ce
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