Le templier déchu
demain matin, après la messe.
Les yeux rougis, le visage dur, Guillaume Lott attendit un long moment avant de hocher brièvement la tête, signifiant ainsi qu’il se soumettait à la volonté de son seigneur.
Des deux côtés, on baissa les armes.
Se dirigeant vers la remise, Alexandre ajouta à peine moins fort :
— Et puisque c’est moi qui ai amené ce misérable ici, il est normal que ce soit moi qui vous en débarrasse !
Elizabeth regarda Robert ordonner aux gardes qui avaient transporté à Dunleavy messire Lucas, à peine conscient, de l’enfermer dans le cachot sous le donjon. En dix ans, il n’avait presque jamais servi. Ne comportant ni fenêtre ni aucune ouverture en dehors de la porte renforcée par une barre métallique, c’était un endroit sombre, confiné et humide, qui n’avait certainement rien d’agréable. Toutefois, il n’avait rien à voir avec les cachots du château du père d’Elizabeth, vieux de plus d’un siècle, infestés de rongeurs et de vermine.
Tout Dunleavy était en émoi. Les domestiques, tirés de leur lit par le retour de la troupe, chuchotaient entre eux, la mine consternée. Silencieuse, Elizabeth regardait Robert qui lui tournait le dos et s’entretenait avec Aubert. Elle voyait bien à sa posture rigide qu’il était tendu. N’importe qui l’aurait été à sa place. En amenant messire Lucas à Dunleavy, il lui avait donné sa confiance, et se trouvait aujourd’hui en porte-à-faux avec les villageois dont il devait assurer la protection.
Dieu merci, ils avaient appris que Lucas n’avait pas eu le temps de violer Jeanne, seulement de la malmener et de lui infliger une grosse frayeur, ainsi qu’une intense humiliation. Passablement ivre, il avait tenté de s’imposer par la force à la jeune fille après que celle-ci eut repoussé ses avances. Heureusement, de jeunes villageois avaient entendu des cris et étaient intervenus à temps. L’affaire n’en était pas moins grave. Les intentions de messire Lucas ne faisaient aucun doute, mais, dans la mesure où la victime n’avait pas été violée, Robert pourrait se contenter d’une sentence atténuée.
Or c’était justement ce qui semblait lui peser, ne pouvait s’empêcher de penser Elizabeth. Si elle se fiait à la façon dont il avait traîné messire Lucas hors de la remise, un peu plus tôt, il l’aurait volontiers achevé sur-le-champ.
La gorge nouée, elle l’avait d’abord vu entrer seul dans la remise pour affronter un homme aux abois accusé d’un crime honteux... puis sa peur avait laissé place à la stupeur lorsqu’un craquement sonore avait retenti, suivi de bruits de bagarre confus. Avant peu, Robert était réapparu dans l’encadrement de la porte, le visage fermé, le corps frémissant de rage. Il tenait messire Lucas par le dos de sa chemise et l’avait jeté à terre, le nez dans la fange.
Cette vision avait impressionné Elizabeth, ainsi que bon nombre de villageois à en juger par le cri étouffé que beaucoup avaient laissé échapper. Voilà donc à quoi ressemblait Robert au cœur de la bataille ! s’était-elle dit. Un homme impitoyable, capable de donner la mort sans sourciller.
Bien sûr, elle savait que son époux était un guerrier, mais c’était la première fois qu’elle le voyait dans une telle situation, et elle ne pouvait s’empêcher d’être troublée par cette manifestation de force brute.
— Avez-vous besoin de quoi que ce soit, madame ? s’enquit une voix douce près d’elle.
C’était Annabelle, son beau regard assombri par l’inquiétude. En dépit des événements de la nuit, elle n’oubliait pas son devoir et s’efforçait de veiller au bien-être de sa maîtresse.
Elizabeth lui prit la main et la pressa.
— Tout va bien, Annabelle. Va te reposer.
— Permettez-moi au moins de vous accompagner dans votre chambre, madame. Je peux ouvrir le lit et vous aider à tresser vos cheveux.
Annabelle se mordit la lèvre et Elizabeth devina que sa jeune suivante était sans doute plus bouleversée qu’elle ne l’était elle-même. Elle s’en voulut de ne pas l’avoir deviné plus tôt. Sa réaction était pourtant bien normale. Une jeune fille avait été attaquée dans un lieu d’ordinaire tranquille et sûr. De telles agressions étaient rares, mais lorsqu’elles survenaient, elles rappelaient que la violence était bel et bien là, tapie dans l’ombre, prête à frapper les plus faibles.
— Bien sûr, Annabelle, je
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