Le temps des adieux

courant. Et probablement tout l’Aventin.
    Au moins un membre de la cohorte était au courant. Une évidence qui ne paraissait pas avoir frappé Lucius Petronius.
    — Tout ça n’a strictement rien à voir avec toi, Falco, dit-il comme s’il lisait dans mes pensées. Ça doit rester entre mes hommes et moi.
    Je ressentais maintenant l’imminence du désastre. Il était évident pour moi qu’il cherchait un motif de dispute. Il en éprouvait vraisemblablement un besoin quasi physique. Le premier venu eût convenu. Mais il se trouvait que c’était son meilleur ami qui était resté auprès de lui pour tenter de lui remonter le moral.
    — Tu n’es pas encore prêt à les affronter, insistai-je. Tu dois d’abord prendre le temps d’analyser soigneusement la situation.
    — Je suis assez grand pour savoir ce que j’ai à faire.
    — Permets-moi d’en douter.
    Quelque part dans le lointain, nous entendîmes sonner une trompette. Après toutes ces années passées à l’armée, nos cerveaux en tirèrent automatiquement une image. Dans le camp prétorien, on procédait au changement de la garde. Nous étions cependant trop préoccupés pour nous en soucier. J’aurais même été incapable de dire si nous étions au milieu de la nuit ou si l’aube allait se lever dans quelques instants.
    Je pris néanmoins conscience que Petronius m’accordait davantage d’attention. Patiemment, je tentai de lui expliquer que notre amitié allait être mise à rude épreuve.
    — Cette mission a débuté sous de mauvais auspices et ça n’a cessé d’empirer. Tu dois accepter cette réalité avant de prendre aucune décision hâtive. Parce que sans ça, tu risques de commettre une énorme bourde. Il y a en réalité deux façons de voir les choses…
    — De quoi tu parles ? m’interrompit-il d’une voix coléreuse.
    — La mort de Linus nous pose deux problèmes cruciaux.
    Deux problèmes qui m’avaient tout de suite sauté aux yeux et qu’il refusait de voir.
    — Falco, je suis profondément triste et j’ai des choses urgentes à faire. Alors c’est une mauvaise idée de me retenir ici sous de mauvais prétextes.
    — Écoute-moi ! Il est tout de même évident que Linus a été assassiné pour qu’il ne puisse pas révéler que Balbinus Pius était de retour dans la cité. Ce qui implique des tas de choses désagréables. Balbinus est très probablement derrière les cambriolages de l’Emporium et de la Sæpta Julia. Il a tué Nonnius. Il a tué Alexandre. Et Linus. Seul Jupiter connaît ses projets maintenant.
    Petronius paraissait de plus en plus nerveux. Je posai une main sur son bras. Sa peau était chaude comme s’il avait la fièvre. Mais sa voix restait glaciale :
    — Quoi d’autre ?
    — Balbinus Pius savait qui il devait tuer. Quelqu’un a trahi Linus.
    — C’est impossible ! trancha-t-il, sans un seul instant d’hésitation.
    — Il n’y a pourtant pas d’autre explication.
    — Personne n’était au courant.
    — Réfléchis à la façon dont il est mort. Avec son disque d’identification enfoncé au fond de la gorge. C’était pour que nul n’ignore qu’il avait été démasqué. Il est mort en sachant qu’on l’avait trahi. Tu dois à sa mémoire de savoir par qui.
    Il me fit brusquement face, et son visage n’exprimait que haine.
    — Comment oses-tu insinuer que je n’avais pas envisagé tous les risques ? Tu crois que j’ignorais à qui je m’attaquais ? Personne à Rome ne savait que je l’avais placé sur l’ Aphrodite.
    — Tes hommes étaient au courant.
    — Mes hommes ? (Impossible de m’en rendre compte dans l’obscurité qui nous enveloppait, mais je l’imaginais livide.) Ma propre équipe, Falco ! Des enquêteurs que j’ai sélectionnés un par un !
    J’imaginais ce qu’il pouvait ressentir, mais il m’était impossible de l’épargner. Les faits étaient trop criants :
    — Désolé, Petro, mais parmi eux, tu as sélectionné quelqu’un qui s’est laissé acheter.
     
    Il n’explosa pas immédiatement. Il restait sourd à mes arguments. Je ne voyais d’autre solution que de poursuivre cette conversation le plus paisiblement possible en restant rationnel :
    — Je comprends parfaitement ton dilemme, Petro. Il est particulièrement douloureux. Mais un homme jeune est mort à cause de la trahison de quelqu’un. Et tu dois envisager la possibilité que le traître appartienne à ton équipe. Et vérifier par tous les