Le temps des adieux
raconté deux ou trois anecdotes sur notre voyage. Helena Justina, elle, ne s’agitait jamais en vain.
Je l’attirai vers le banc bancal qui me parut encore plus branlant que dans mon souvenir. Me penchant en laissant échapper un juron, je cherchai à tâtons quelque chose pour le caler et découvris un morceau de tuile – le toit devait avoir une fuite.
— Ça, pour une belle vue, c’est une belle vue ! m’exclamai-je en me redressant.
— Toi, tu es heureux d’être de retour chez toi.
— Uniquement parce que tu t’y trouves.
Selon son habitude, Helena parut ignorer ma flatterie ; je savais pourtant que mes paroles la touchaient.
— Est-ce que tout s’est bien passé à Ostie ? demanda-t-elle.
— Plus ou moins. On a regagné Rome il y a tout juste une heure. P’pa a fini par manifester un certain intérêt pour sa marchandise. Une fois le gros du déchargement terminé, il est apparu à l’Emporium pour diriger les travaux finis.
Mon père avait la chance de vivre au bord du fleuve, au pied de la falaise de l’Aventin, donc tout près du débarcadère.
— Il a récupéré toute sa verroterie en bon état. Ne le laisse surtout pas oublier de te verser un pourcentage.
En entendant ce conseil, Helena Justina se contenta de sourire.
— Et Petronius ? Il a réussi à régler ses affaires ? C’était quoi, cette histoire ?
— Il était chargé d’expédier un condamné en exil.
Mon ton amer lui fit hausser les sourcils.
— Un vrai criminel ? demanda-t-elle.
— Le pire de tous.
Petronius Longus eût été horrifié de m’entendre la mettre au courant. De son côté, il ne touchait pas un mot concernant son travail à sa propre femme. Mais avec Helena, nous avions l’habitude de discuter de tout.
— C’était Balbinus Pius, précisai-je. On a attendu qu’il s’embarque, et Petro a planqué un de ses hommes à bord pour être certain qu’il n’abandonne pas le navire prématurément. Oh ! pendant que j’y pense, j’ai invité Petro et Silvia à dîner quand on aurait fini de se réinstaller. Mais c’est déjà fait, non ?
Je ne me donnai pas la peine de tourner la tête pour regarder la pièce très peu meublée : une petite table, trois tabourets, des étagères sur lesquelles étaient rangés quelques ustensiles de cuisine, et un fourneau quasiment inutilisable.
— Oui.
Au cours des derniers mois, ma sœur Maia avait certainement grimpé vaillamment les six étages régulièrement pour s’assurer qu’aucun cambrioleur n’était passé et que Smaractus, mon goret de propriétaire, n’essayait pas de sous-louer mon appartement pendant mon absence. Elle avait également pris soin des plantes ornant le balcon, mais clairement renoncé à contrôler le rosier. Elle s’était payée en cueillant les herbes aromatiques. Naguère, elle prétendait que si j’avais planté des fleurs bon marché sur mon balcon, c’était uniquement pour séduire des filles. C’est bien simple, quand je suis concerné, toutes mes sœurs sont de mauvaise foi.
Je m’emparai du doigt d’Helena pour retirer délicatement l’épine en faisant pression avec l’ongle de mon pouce. Puis je caressai machinalement la cicatrice qui marquait son avant-bras à l’endroit où elle avait été mordue par un scorpion dans le désert de Syrie.
— Ta blessure de guerre va m’attirer les pires ennuis.
Ma mère et ses parents allaient me blâmer de l’avoir entraînée dans une province si dangereuse et de l’avoir ramenée avec cette cicatrice indélébile.
Une autre situation inquiéterait encore davantage nos deux mères. Après une si longue absence, je ne souhaitais pas aborder d’emblée un sujet aussi grave… Pourtant, n’y tenant plus, je pris une longue respiration avant de déclarer :
— Et peut-être que je peux m’attendre à pire.
Helena n’eut aucune réaction. Constatant que mes allusions ne me menaient nulle part, je repris d’un ton grave :
— Il faut que nous parlions.
Cette fois, elle demanda immédiatement :
— Qu’est-ce qu’il y a, Marcus ?
Presque contre ma volonté, je précisai :
— Je commence à soupçonner que je vais devenir père.
Puis je gardai le regard obstinément fixé au loin, en attendant qu’elle confirme ou démente mes propos.
Helena resta silencieuse un long moment, puis demanda posément mais d’une voix plus rauque qu’à l’accoutumée :
— Qu’est-ce qui te fait dire
Weitere Kostenlose Bücher