Le temps des illusions
la Lorraine. Un chancelier nommé parLouis XV administrera le duché comme les intendants dans les provinces de S.M. Stanislas recevra une pension annuelle de 2 millions de livres ; il pourra s’entourer d’une cour, disposera d’une garde et conservera son titre royal. Stanislas ressent une vive humiliation etMarie ne cache pas sa rancœur à l’égard ducardinal. C’est pourtant elle qui apporte la plus belle dot qu’une reine ait donné au royaume depuis des siècles.
1 - De 1727 à 1737, Chauvelin, ministre d’État, a cumulé la charge de garde des Sceaux et celle de ministre des Affaires étrangères.
2 - Correspondance littéraire du président Bouhier , n° 13, Paris, mai 1734, p. 94, 96.
3 - B.A. AB, ms. 10161, fol. 171-172, cité par Dale K. van Kley, Les Origines religieuses de la Révolution française, op. cit. , p. 201.
Chapitre XI
« Le bon temps que ce siècle de fer 1 »
Le roi s’amuse
Le 5 mars 1737, le roi s’échappe de Versailles et se rend au bal de l’Opéra sous un domino. Quelques intimes l’accompagnent. On parle d’une intrigue secrète, mais deux gardes entrent dans la salle et le reconnaissent. Se voyant démasqué, il sort en trombe, gagne à pied la rue Saint-Nicaise toute proche et repart aussitôt. Le roi aime ces escapades nocturnes où ses valets redoublent d’ingéniosité pour lui présenter quelque jolie femme.
Par une chaude nuit de juillet,Louis XV, Mlle deCharolais, le duc deVilleroy, son capitaine des gardes, et quelques autres, tous déguisés, partent courir la gueuse dans Versailles. Un mois plus tard, nouvelle virée avec la même équipe. À deux heures du matin, ils croisent deux femmes dont ils ne connaissent ni l’âge ni la figure et qui se pressent en les entendant. Comme les hommes risqueraient de leur faire peur, c’est Mlle de Charolais qui fait les avances. Elle apprend ainsi qu’il s’agit de la belle Mme Paulmier, hôtesse du Cheval rouge, rue des Récollets, escortée de sa servante. Elles cherchent la patrouille du guet pour régler une dispute entre deux clients. Le roi s’approche de la maîtresse et la serre de très près sans se faire reconnaître, l’assurant qu’il pourrait lui rendre service s’il y avait le feu à sa maison. Villeroy, de son côté,tente de culbuter la soubrette tandis que Mlle de Charolais se pâme de rire. L’hôtelière tâche de se dégager de l’étreinte de son galant. « Je suis femme d’honneur !, lance-t-elle en se débattant. Lâchez-moi ou je crie de toutes mes forces au voleur et à l’assassin ! » Désarçonné par la menace, le roi lâche prise tandis que la dame rajuste sa coiffe et se plaint haut et fort de l’impéritie du roi et de sa police incapables d’assurer la sécurité des femmes, même aux portes du château !
L’anecdote fut bientôt connue de la Cour qui en fit des gorges chaudes. Quelques semaines plus tôt, lareine avait accouché d’une huitième fille. Bien qu’il ait consolé son épouse ne pas lui avoir donné un fils, le roi aurait dit : « MadameHuitième ! Madame Dernière. » Cette boutade rapportée ou inventée par le marquis d’Argenson courut de Versailles à Paris. Les Français « s’alarment de n’avoir qu’un dauphin bien jeune et un roi qui fatigue beaucoup son tempérament », note l’avocatBarbier. Les expéditions nocturnes du souverain inquiètent également son entourage. Ne risque-t-il pas d’être reconnu ou pis encore d’attraper quelque « galanterie » dangereuse pour sa santé ? En quelques mois, le roi est passé d’une extrême réserve avec les femmes au libertinage le plus effréné. À Versailles, les plus roués s’étonnent de voir un mari qui s’était si longtemps donné le ridicule de la fidélité verser brusquement dans des amours si diverses. Mais la Cour a l’habitude des retournements de situation, elle les encourage même car cela nourrit les conversations.
La favorite, Mme de Mailly, logée dans un appartement mansardé de trois pièces au deuxième étage, au-dessus du salon de la Guerre, emploie ses talents à distraire son amant et parvient souvent à le tirer de sa morosité coutumière. Avec la comtesse deToulouse et Mlle deCharolais, elle organise des soupers fins servis dans des réduits délicieux accessibles aux seuls confidents qu’on appelle les petits cabinets.Louis XV, qui aime les douceurs de l’intimité, n’avait pas l’intention de vivre en
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