Le temps des illusions
l’appartement de Marie par l’escalier dit de la Reine, qui mène dans la grande salle des gardes du corps encombrée de tables, de chaises et de paravents, où se tiennent gardes et valets. C’est là que le roi reçoit son parlement à l’occasion des lits de justice. Dans de telles circonstances, on procède à un sérieux rangement et à un aménagement bien différent. Suit une antichambre conduisant au grand cabinet où la reine donne ses audiences publiques ; où Leurs Majestés dînent en grand couvert. De là on passe dans la chambre de la reine décorée « à la moderne » dès l’arrivée deMarie en France. Depuis lors, plusieurs améliorations ont été apportées. Un peintre de renom,Boucher, et un autre nomméLemaire ont assuré une partie du décor. Cette chambre somptueuse vient de recevoir des soieries neuves en brocart cramoisi brodé de fleurs d’or. Le salon de la Paix, sur lequel s’ouvre cette pièce, fait désormais partie de l’appartement de S.M. Il a reçu les mêmes rideaux que ceux de la chambre. C’est là que joue la reine qui raffole du cavagnole, une sorte de loto, où elle perd d’ailleurs d’importantes sommes d’argent remboursées très libéralement par son époux. Pour complaire à sa femme,Louis XV lui a fait aménager des bains à l’entresol et des cabinets intérieurs. La reine y passe beaucoup de temps à lire ses poètes favoris, à peindre ou dessiner lorsqu’elle ne prie pas dans son oratoire devant ses tableaux de dévotion. Ses prières lui ont attiré la grâce qu’elle espérait. Le soir de Noël, le roi est venu coucher chez elle. On apprendra sans doute bientôt une nouvelle grossesse.
Promenade dans Paris
Louis XV règne à Versailles ; il s’est soustrait aux hommages de la ville sans renouer avec les fastes de la monarchie louis-quatorzienne. Ce souverain invisible déçoit ses sujets, qui lui vouent encore beaucoup d’amour. Les ordres royaux comme les ragots de la Cour sont très vite connus à Paris, mais les revendications populaires ne semblent pas parvenir jusqu’au monarque. « Si seulement le roi savait… », dit-on souvent. On croit que ses ministres ne veulent pas l’informer et on les tient pour responsables de ce qui va mal. Eux-mêmes habitent le château où l’on prend les décisions. Cependant, si le gouvernement est à Versailles, les services administratifs et une partie importante des bureaux ministériels se trouvent à Paris. Les hommes d’affaires y vivent aussi. Paris conserve bien son rôle de capitale et jouit d’un prestige extraordinaire dans toute l’Europe, où l’on vante l’art de vivre à la française.
Le peuple de Paris est à l’affût de la moindre nouvelle qui se répand aussitôt comme une traînée de poudre. Il ne se fie guère à l’officielle Gazette de France . Il ne faudrait pas lui faire prendre des vessies pour des lanternes ! Faute de presse digne de ce nom, il est prêt à croire parfois les anecdotes les plus graveleuses sur les grands. On se passe sous le manteau des bulletins imprimés ou manuscrits qui diffusent des informations sur la Cour, les décisions des ministres, la politique européenne… Les unes sont tirées de la Gazette d’Utrecht bien informée, les autres de ragots rapportés ici et là. Il est bien difficile au simple Parisien de démêler le vrai du faux. C’est ainsi que se font et se défont les réputations. Le lieutenant de police envoie ses observateurs acheter ces gazetins qu’iltransmet aux ministres concernés. Ses « mouches » lui rapportent également les conversations des cafés, lesquels ne désemplissent jamais. Ceux de la rue de la Tonnellerie accueillent les spécialistes des finances. Au Procope, en face de la Comédie-Française, chez Laurent, rue Dauphine, ou au Parnasse, quai de l’École, on monte les cabales qui visent les pièces de théâtre. Dans les deux cafés du pont Saint-Michel, les vieux officiers commentent les opérations militaires. Les artisans et les ouvriers se réunissent au cloître des Grands Cordeliers dans le quartier Saint-André-des-Arts où ils tiennent des propos subversifs dans une langue imagée.
Sous la Régence venaient des visiteurs étrangers avides de lire des ouvrages rares et des manuscrits précieux à la Bibliothèque royale ou dans les établissements religieux ouverts au public. Ils repartaient sans avoir vu les beautés de la ville. Aujourd’hui, des voyageurs de plus en plus nombreux
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