Le temps des illusions
veulent connaître cette cité mythique. Outre les grands seigneurs fortunés qui savent où descendre, on compte beaucoup de touristes modestes, des marchands, des artistes, des artisans, des intellectuels à la recherche d’un gîte… Dès leur arrivée, ils se font souvent arnaquer par des cohortes d’aubergistes en mal de clients qui leur vantent les bienfaits de leur établissement. Les naïfs se laissent prendre et sont obligés de passer au moins une nuit dans une vilaine chambre sans confort, au quatrième ou au cinquième étage d’un immeuble vétuste. Sans trop de difficultés, ils trouvent le lendemain un logement plus convenable et peuvent enfin découvrir ce qu’ils cherchent. Rien n’altère le bonheur de celui qui part le nez au vent savourer la mouvante poésie de la capitale offerte aux regards. Plus de neuf cents rues, quais, ponts, carrefours se cherchent et se croisent. Le centre porte encore la trace de ce que les architectes appellent la « barbarie gothique ». Détruira-t-on jamais ce labyrinthe de ruelles tortueuses autour de Notre-Dame et les baraquements à l’intérieur de la Cour carrée du Louvre qui abritent quelques veuves d’artistes ? Les berges de la Seine resteront-elles encore longtemps des ports où les immeubles s’élèvent au bord de l’eau ? Les maisons construites sur les ponts seront-elles un jour abattues ?
Certains architectes regrettent même qu’un incendie n’ait pas ravagé Paris comme Londres en 1666. On aurait ainsi reconstruit une ville moderne adaptée aux besoins du siècle. Ils vantent la beauté de la capitale anglaise, ses larges avenues, ses places, sapropreté, son port, oubliant tout le reste qui n’est guère glorieux. En cette année 1737, les « vœux » des architectes ont été en partie exaucés : deux incendies ont détruit à Paris l’Hôtel-Dieu et la Cour des comptes. Celui de l’Hôtel-Dieu prit dans la lingerie vers neuf heures du soir le jeudi 2 août. À minuit, le feu s’était propagé jusqu’aux bâtiments de l’archevêché. On a transporté les malades dans Notre-Dame et dans les rues ; des charrettes ont conduit les plus gravement atteints jusqu’à l’hôpital Saint-Louis pendant que le guet, les soldats aux gardes, des passants réquisitionnés et même les magistrats prêtaient main-forte aux pompiers. Le feu n’était pas encore éteint le vendredi dans la soirée. L’archevêque de Paris a fait distribuer du bouillon à tous les sinistrés et donner à dîner aux religieuses. Il va falloir reconstruire cet hôpital qui abrite trois mille personnes. Les habitants du quartier souhaiteraient qu’il ne soit plus édifié au même endroit en raison des lessives continuelles qui aggravent la pollution de la Seine.
En attendant, du Pont-Neuf au Pont-Royal, le quai a été réaménagé en 1731, donnant ainsi beaucoup d’élégance aux abords des Tuileries. Le jardin qui se poursuit par les Champs-Élysées offre une promenade magnifique. On met une heure pour la parcourir et une autre heure pour revenir à son point de départ. C’est le rendez-vous des élégances. Grands seigneurs, femmes de qualité, bourgeois accompagnés de leurs épouses marchent sur des allées sablées entre des parterres fleuris où surgissent des statues de marbre. Ils goûtent la fraîcheur des cascades, des enfants font naviguer de frêles esquifs sur les bassins sous l’œil attentif de leurs gouvernantes. Des curieux pénètrent dans le Louvre qui n’est plus la demeure des rois, mais celle d’artistes privilégiés par le souverain. Ils logent dans des appartements et des ateliers curieusement aménagés dans ce qui fut jadis le centre du pouvoir ; l’Académie des sciences y tient aussi ses réunions. Un jour, un autodidacte de province, PierrePrion, pénétra par hasard dans la salle où ces messieurs faisaient entre eux assaut de savoir. Ils s’interrompirent pour lui parler et lui firent voir une montre à ressort qu’on ne remonte qu’une fois par an.
Les terrains situés entre les Champs-Élysées et la rue du Rocher sont recherchés par les princes, les ministres et les courtisans. Du temps de sa splendeur, Law s’était constitué un important patrimoine de la place Vendôme à la rue de laBonne-Morue 2 . Ses héritiers le possèdent encore. Il sera sans doute racheté un jour. Au-delà, dans le faubourg Saint-Honoré habitaientBlouin, qui fut gouverneur de Versailles, et sa maîtresse, la comtesse
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