Le temps des illusions
queVoltaire lui-même l’admirait lorsqu’il était encore à Paris. « Ne m’oubliez pas auprès de la Muse-Deshayes et d’Orphée-Rameau », écrivit-il à son amiThiriot en 1736. La Popelinière est fière de sa maîtresse que tout Paris surnomme la Muse.
La belle Thérèse a élargi son cercle de relations et Mme de Tencin l’a prise sous son aile. Sachant que cette libertine sur le retour a le génie de l’intrigue, Thérèse n’a pas hésité à lui confier qu’elle voulait se faire épouser et Mme deTencin lui a promis le succès. L’ancienne nonne n’a rien à redouter de la donzelle, peut-être même en obtiendra-t-elle quelque avantage plus tard. Aussi mène-t-elle l’affaire avec son habileté habituelle. Et puis cela l’amuse tellement ! Nous voici donc en 1737, l’année du renouvellement du bail des fermiers généraux. Mme deTencin prépare son plan. Elle écrit au cardinal deFleury pour lui dénoncer la scandaleuse conduite deLa Popelinière, vil séducteur d’une innocente comédienne avec laquelle il vit dans le péché. Elle fait appel au gardien des bonnes mœurs pour mettre fin à une situation aussi déshonorante.
Quelques jours plus tard, le cardinal reçoit La Popelinière venu solliciter le renouvellement de son bail. Avant d’aborder le sujet de l’entretien, le prélat demande à son visiteur qui est Mlle Deshayes :
« C’est une jeune personne dont j’ai pris soin », répond La Popelinière, qui lui fait l’éloge de son esprit, de ses talents et de sa bonne éducation.
« Je suis bien aise de tout le bien que vous m’en dites, reprend le cardinal. Tout le monde en parle de même et l’intention du roi est de donner votre place à celui qui l’épousera. Il est bien juste au moins qu’après l’avoir séduite vous lui laissiez pour dot l’état qu’elle avait le droit d’attendre de vous-même et que vous lui aviez promis. » La Popelinière essaie de se défendre, mais le cardinal insiste :
« Vous l’avez abusée et sans vous, elle aurait encore son innocence. Il faut réparer ce tort-là. C’est le conseil que je vous donne et ne tardez pas à le suivre, sans quoi je ne puis rien pour vous. »
L’alternative est on ne peut plus pressante. Le lendemain matin, La Popelinière réveille sa maîtresse :
« Levez-vous, lui dit-il, et avec votre mère, venez où je vais vous conduire. »
Quelques heures plus tard, ils signaient un contrat de mariage. La Muse et sa mère se sont jetées dans ses bras. C’est ainsi que la Muse est aujourd’hui Mme de La Popelinière. Elle saura admirablement tenir la maison de son époux. Mais gare aux amants !
Cirey, un paradis sur terre
Depuis près de trois ans maintenant,Voltaire réside à Cirey dans le château du marquisdu Chatêlet, le mari d’Émilie, qui ne voit aucun inconvénient à laisser sa demeure familiale aux soins de l’amant de sa femme. D’ailleursVoltaire, qui est fort riche, s’est lancé dans de grands travaux de rénovation et de construction avec la bénédiction du marquis. Dans les premiers temps de cet exil, Émilie n’était pas pressée de rejoindre son poète. Elle essayait de faire annuler la lettre de cachet qui le frappait, mais elle tenait surtout à rencontrer son cherMaupertruis avant son départ pour le Grand Nord. L’expédition scientifique qu’il dirige a pour but de prouver que la terre est aplatie aux pôles et non renflée à l’équateur comme le croitCassini, le géographe favori du roi. Malgré toute la joie qu’elle éprouve à vivre aux côtés de Voltaire, la divineÉmilie reste très éprise de Maupertuis. Voltaire ne se fait guère d’illusion sur la fidélité de celle qu’il n’hésite pas à désigner comme « sa femme ». Il en parle ainsi à ses amis auxquels il déclare qu’il « s’en remet à la providence et à la patience du cocu ». On ne peut semontrer plus clairvoyant ! Pour tromper son ennui, il écrit une nouvelle pièce, Alzire , qui est une condamnation de la colonisation. Au mois d’octobre 1734, Émilie a fait une apparition de quelques jours à Cirey. Voltaire avait poussé la « délicatesse » jusqu’à inviter Maupertuis, mais il n’est pas venu. Émilie est repartie avec le manuscrit d’ Alzire que son auteur lui a dédié.
Le temps qui passe fait réfléchir les deux amants (mais le sont-ils encore ?). Le 30 mars Voltaire est venu à Paris pour mettre en demeure la belle Émilie de choisir
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