Le temps des illusions
retiré à Issy où les ministres maintiennent la fiction d’un gouvernement autour du vieillard qui s’éteint.. Il n’en finit pas de mourir.Louis XV est allé deux fois le voir ; il y a menéle dauphin.La reine a fait elle aussi le déplacement jusqu’à Issy. Onignore ce que le mourant a pu dire au souverain. On ne sait même pas s’il lui a laissé un testament politique et spirituel.
Le 29 janvier, à Versailles, S.M. était avec lecontrôleur général des Finances lorsque M. deMaurepas et M.Amelot vinrent lui annoncer que Mgr de Fleury avait rendu le dernier soupir. Le souverain s’enferma aussitôt dans sa garde-robe où il resta plusieurs heures. Il en sortit les yeux rougis et fit appelerMgr Boyer, évêque de Mirepoix, pour lui remettre la feuille des bénéfices. Il ne parvenait pas à cacher ses larmes en lui parlant. Il fit décommander la comédie qui devait avoir lieu le soir. Le lendemain, il reçut les abbés de Fleury, petits-neveux du cardinal. « J’ai perdu un ami », leur dit-il en pleurant.
La disparition de Fleury a réjoui Paris. « Le cardinal est mort, vive le roi ! », crie-t-on dans les rues. Le bruit court que S.M. a dit : « Me voilà donc premier ministre. » En réalité,Louis XV a déclaré qu’il travaillerait désormais avec ses ministres. Sa popularité remonte. Il s’est mis sérieusement à l’ouvrage. Il n’a pas l’air de faire grand cas ducardinal de Tencin et il a remplacé par lecomte d’Argenson lemarquis de Breteuil, ministre de la Guerre, victime d’une attaque d’apoplexie dans la chambre même deFleury.Maurepas triomphe en toute modestie. Il espère jouer d’ici peu le rôle de Premier ministre même s’il n’en a pas le titre.Orry reste aux Finances etAmelot aux Affaires étrangères. Quant àChauvelin, qui avait eu le tort d’envoyer au roi un dossier très critique à l’égard du ministère de Fleury, il a reçu une lettre de cachet l’exilant à Issoire. Cette disgrâce chagrine beaucoup de gens sages qui voyaient en lui le seul homme capable de seconder intelligemment le roi et de l’amener à mettre fin à la guerre.
Privé des conseils de son vieux mentor, le roi a préféré se tourner vers lemaréchal de Noailles, lequel appartient à la dernière génération de ceux qui ont servi Louis XIV. À soixante-cinq ans, ce gentilhomme, chef du Conseil des finances au début de la Régence, n’a rien du courtisan ambitieux. Il parle au roi avec une autorité presque paternelle. Pressentant la mort du cardinal, il lui avait envoyé un long mémoire inspiré par l’instruction donnée par le feu roi à son petit-fils, leduc d’Anjou, au moment où Philippe V devait ceindre la couronne d’Espagne. « De toutes les maximes d’État, ce grand prince regardait comme une des plus importantes et des plus essentielles pour un roi de n’avoir ni premier ministreni favori », lui dit-il. Et de lui faire l’apologie de la monarchie absolue, en le persuadant que les Français « regardent leurs rois comme incapables de vouloir autre chose que la justice et la raison quand ils gouvernent par eux-mêmes 13 ».Louis XV médita en secret cette instruction qui le conforta dans sa décision de travailler avec chacun de ses ministres. Il a nommé le maréchal de Noailles ministre d’État sans portefeuille et, lors de la réunion du Conseil, il l’a placé à sa gauche. « V.M. doit expliquer sa volonté et la faire respecter », lui a-t-il dit.Noailles rend la vie dure aux ministres, qui voient en lui un inspecteur importun qui se mêle de tout sans être le maître de rien. Au fil des jours,Louis XV déconcerte ses ministres : il ne leur dit rien et ne leur répond même pas. Son orgueil le met en garde contre le soupçon d’être gouverné. On sait seulement qu’il tient à poursuivre la guerre afin d’obtenir une principauté en Italie pourdon Philippe, l’époux de sa filleÉlisabeth, et peut-être la Savoie pour la France. C’est pourquoi il convient de prendre des dispositions pour la prochaine campagne.
« La Bavière me tourne la tête »
En deux ans l’opinion a bien changé. On était parti en guerre dans l’espoir de ruiner la maison de Habsbourg. Désormais la France menacée sur ses frontières est livrée aux hasards d’une guerre qui a coûté cher en vies humaines et en argent et dont l’issue est improbable. Les Français, qui rêvaient de gloire, sont déçus ; ils veulent maintenant la paix
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