Le temps des illusions
reparties presque viriles et ses traits caustiques distraient le roi. Il y a quelques jours, passant en carrosse dans Paris, il dit soudain : « Ce n’est pas une rue qui convient à la Princesse , mais elle pourrait bien convenir à Mme de Lauraguais 3 . » C’était la rue des Mauvaises-Paroles. Mme de Lauraguais fit la moue tandis que sa sœur gratifiait son amant d’un sourire condescendant.
Le roi ignore la reine. Marie essaie de se distraire. Certains courtisans disent qu’elle fait ce qu’elle peut pour attirer les regards masculins. Une façon de se rassurer en tout bien tout honneur. Après son souper, elle va chez l’une des dames du palais, le plus souvent chez laduchesse de Villars où elle retrouve Moncrif, son lecteur, l’abbé de Broglie et lecomte de Tressan, un exempt des gardes du corps néanmoins bel esprit. La compagnie se plaît à médire et raconte des anecdotes plutôt lestes que la reine apprécie. Récemment, alors que l’on disait que les hussards feraient des courses, elle demanda : « Si j’en rencontrais une troupe et que ma garde me défendît mal ? – Eh bien, Madame, ils hussarderaient Votre Majesté. – Eh que feriez-vous, Monsieur de Tressan ?, reprit la reine. – Madame ce qui arrive dans la fable intitulée Le chien qui défend le dîner de son maître : après l’avoir défendu de son mieux, ce chien le mangea comme les autres. » Le lendemain,Marie sourit beaucoup à M. de Tressan. Pauvre Marie, elle aaccompli son devoir d’épouse, mais le roi ne lui en témoigne aucune reconnaissance. Il se conduit envers elle avec plus de goujaterie queLouis XIV à l’égard deMarie-Thérèse. Certes leRoi-Soleil imposait ses favorites à sa femme, mais il passait toujours une partie de la nuit avec elle. Il lui confia symboliquement la régence lorsqu’il se mit à la tête des armées. Louis XV fera-il cet honneur àMarie s’il part en campagne ? Rien n’est moins sûr. Il ne la traite pas comme il le devrait. Lorsqu’il y a appartement et qu’il joue au piquet, il l’ignore superbement et regardeMme de La Tournelle ; il ne lui propose jamais d’aller à l’Opéra avec lui, préférant s’y rendre avec sa maîtresse,Mme de Lauraguais,Mme de Flavacourt,Mme de Tallard,Mme de Luxembourg et quelques autres beautés de la Cour. S’il décide d’un séjour à Marly, il juge inutile de la prévenir. Son bon plaisir avant toute autre chose.
Mme de La Tournelle est une maîtresse comblée. Le 21 octobre 1743,Louis XV lui a donné le duché de Châteauroux. La nouvelle duchesse a été présentée en tant que telle au roi par sa sœur, Mme de Lauraguais. Indispensable comédie aulique. Ensuite, la reine a dû la recevoir à son tour et lui débiter le compliment de circonstance. Mme de Châteauroux a pris son tabouret, C’est la distinction le plus insigne auquel puisse prétendre une femme à la Cour : s’asseoir lorsque la reine est assise.
Les enfants de France commencent à jouer un rôle à Versailles. On donne des bals et des fêtes chez eux.Le dauphin, sous la férule de son gouverneur, occupe maintenant l’appartement du cardinal ; on parle de le marier bientôt à l’infante d’Espagne. À quatorze ans,Madame Henriette, contrainte de renoncer à ses amours avec leduc de Chartres, est une jeune fille sage au visage régulier plein de douceur qui s’exprime avec sérieux et répond agréablement aux compliments et aux discours. Habillée, coiffée et maquillée comme une femme avec le rouge, apanage des princesses et des dames de qualité,Madame Adélaïde se conduit parfois comme une enfant. Il y a quelques années, elle disait qu’elle ne comprenait pas pourquoi ses parents désiraient tant un second fils, parce qu’elle ferait aussi bien qu’un garçon. Elle a récemment donné de vives alarmes à Mme de Tallard, sa gouvernante. Un matin, avant le lever du jour, l’une des femmes de chambre la trouva dans la galerie des Glaces.Adélaïde s’était levée sans réveiller la sous-gouvernante qui dort dans sa chambre ; elle s’était habilléeseule et avait filé jusque dans la galerie. LorsqueMme de Tallard lui demanda ce qu’elle allait faire, elle répondit qu’elle voulait se mettre à la tête des armées de Papa-roi pour ramener à S.M. leroi d’Angleterre prisonnier. Elle avoua qu’elle s’était arrangée pour s’enfuir avec le petit garçon qui prenait soin de son âne… N’oublions pas que malgré les apparences, la
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